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11.26.2013

COUP DE DES ....




Un jour vous vous retournez, vos souvenirs ne sont plus là.
Ce qui vous en reste ne vous permet pas grand chose . Vous vous dites qu'ils vous rejoindront, que vous ne devez pas vous alarmer. Votre vie a été longue, ils étaient nombreux. Ils vous suivaient partout, parfois vous réveillaient la nuit et vous empêchaient de dormir. Certains n'étaient que des intrus, vous ne saviez plus si vous les aviez rêvés ou vécus... Il vous fallait du temps et de la concentration pour vous rendre compte de la supercherie et la renvoyer au diable. D'autres vous faisaient la conversation avec insistance. Vos amours se sont ainsi perpétuées et bien des yeux ne vous ont pas quitté. Vous étiez tenté quelques fois de revenir en arrière et de marcher dans les pas de votre père sur la terre qu'il avait fraîchement retournée, de cueillir une prune verte et de regarder les trois herbes qu'il cueillait pour frotter les piqûres de guêpes... vous l'avez accompagné sur le porte-bagage de son vélo, vous aviez la tête en arrière où les amandiers filaient sous le ciel. Un hiver vous êtes passé près d'un baquet rempli de glace transparente, un printemps vous avez lancé un papier qui s'est envolé en tourbillonnant par dessus le toit... Vous aviez posé le nez sur le métal d'un réveil-matin et vous n'avez pas oublié son odeur d'huile, retrouvée sur des pompes à bicyclette, des carabines et des machines à coudre... 
Peu de gens vous adressaient la parole, mais un jour près de la lumière verte d'un poste de radio votre mère tricotait un chandail en disant qu'il était "bleu pétrole" ... plus tard vous avez su que c'était une sorte de turquoise... Ce soir-là elle vous a paru très gentille et très belle... 
Vos millions de mots et d'images remontaient dans vos journées comme les bulles dans une casserole d'eau qui frémit, sorties de partout et de nulle part, passant par là et reparties vers le fond... Vous n'étiez pas maître de la situation, vous ne saviez pas pourquoi ce visage ou cette fenêtre ou ce chien... Il faut bien que vous ayez appris quelque chose mais vous ne savez plus ce que vous appreniez, vous savez à peine si l'on vous aimait ou si vous avez aimé ... Votre vie s'est jouée, vous avez roulé sur la table comme les dés qu'une main aurait lancés, vous avez essayé de freiner ou d'accélérer, mais vous n'aviez choisi ni le jour, ni l'heure ni la lune ni le tapis... 


INSOUCIANCE ...



Aurore



L' étoile se lève, notre destin fait ses affaires. Sur les vieilles pendules, des horlogers inscrivaient en latin des propos du genre : "Le temps s'en va... Regarde un peu ces aiguilles qui passent et repassent à l'heure de ta mort..." Les sabliers s'en donnaient à coeur joie dans les tableaux de vanités, avec les chandelles consumées et les flambeaux éteints...
Vieilles rengaines de l'Ecclésiaste et musiques verbales de l'aliénation. Tel fut le jouir des malades de la vie, s'abandonnant aux consignes et aux ordres,  confiant la carcasse humaine aux folies d'Abraham,  qui dressa un autel pour y trancher la gorge de son fils... Douleurs et soumissions, prosternation des fronts, fesses en l'air sous les robes, interdiction des images... Tels sont les obsédés du Verbe et du Livre... Guère plus fraternels que les maniaques qui arrachaient le coeur battant de vierges droguées pour forcer le Soleil à faire un tour de plus...
On ne se remettra peut-être pas de l'orgueil des Grecs, mais ils s'enduisaient d'huile pour le sport après la géométrie. Du côté des pleurs, Ils nous ont laissé des tragédies où les héros sont des bolides de la fatalité, enragés cosmiques... Oedipe,  Achille... unis à la vie comme l'étincelle à la poudre... insouciants des prophètes et des révélations... insouciants du sexe des chèvres ... ou des pendeloques de l'au-delà.


Aurore

CENTENAIRES ....






Nous avons inventé des distractions. La plus commune est de regarder vivre les autres à la terrasse d'un café ou sur une plage. Nous éprouvons de grands plaisirs à voir remuer des jambes, respirer des thorax, sourire des lèvres, s'allonger des râbles, plonger des têtes sous l'eau, lancer des boules ou donner des coups de pied dans des ballons. Ceux qui  profitent du soleil pour accompagner des yeux les enfants et les oiseaux des jardins, savent aussi que la misère noire est celle des chambres d'hôpital et des prisons... 
Il y avait à voir au Paradis...  Dieu qui avait planté l'arbre de la connaissance fut cruel d'interdire aux deux cervelles qu'il avait bricolées d'y cueillir un fruit pour le goûter... A voir  leur descendance, on se doute vite que ces deux créatures n'avaient pas de quoi rendre jaloux le Tout-Puissant... constamment occupées à des copulations, saisissements de corps. et affaires de digestions... Ce fut mesquin de les chasser, de les rendre mortelles, de les contraindre aux sueurs et aux disputes, de faire de quelques douces conséquences profusion d'enfantements douloureux... Les bras et les mains qui servent aux caresses condamnées à la pelle et à la pioche, les peaux si douces aux callosités et aux rides, les deux ou trois étincelles de raison aux études interminables et aux livres épuisants pour les yeux... 
Mais la plus calamiteuse des calamités c'est le peu de mémoire de ces créatures qui se racontent n'importe quoi sur le Paradis et se persuadent qu'elles peuvent le ramener sur Terre, ayant  imaginé qu'il existe un Dieu pour les ivrognes et convaincues d'autres fariboles à propos d'or, de fesses et de frottements. Des illuminés, des singes savants et quelques loups déguisés en agneaux  ont  entrepris d'enseigner le Bonheur aux innocents, comme certains professeurs, l'Art aux étudiants de la Sorbonne.  Nous sommes désormais sept milliards d'illuminés, de singes savants , d'imbéciles et de loups déguisés en agneaux. Sept fois plus qu'il y a cent ans et douze fois plus qu'à l'époque de César Auguste. Les merveilles du Monde ne sont pas plus nombreuses, par contre les centenaires abondent.
Mais puisque notre tour de force est de croire que, stupides et dangereux plus longtemps, nous aurons de meilleures espérances de vie et de meilleures chances d'être heureux, restons près des portes ouvertes, à regarder voler les mouches et passer les filles...



11.22.2013

COIFFEURS ....




Les coiffeurs savent ce que nous avons derrière la tête. Ils proposent de saines lectures. Sans elles, personne ne connaîtrait les dessous d'une vie de star, les secrets de Mars et de Vénus... La destinée des individus obéissant aux mêmes lois que celle des empires, les astrologues ont beaucoup à faire. D'autres devins suffisent à peine à chasser les brouillards que nous avons devant nous. Des montagnes de jeux de cartes, des camions de boules de cristal, des valises de pendules, des milliers de tables tournantes apportent un peu de lumière quand les medium, voyants et marabouts se mêlent de nos affaires. Des poulets se prêtent aux sacrifices suprêmes, des gouttes de plomb fondu tracent des vérités dans l'eau froide et parfois nous ouvrons les yeux sur les marcs de café...
 
Le Soleil fut le meilleur de nos amis. Nous fûmes pressés de le suivre jusqu'au bout de la Terre.  Il nous prolonge. Dans les livres d'enfants, il ressemble à une pièce d'or et son éclat donne aux fleurs des couleurs enchanteresses. Dans les magazines, les tirages grimpent dès le mois d'avril. Dans l'Histoire les guerres éclatent lorsque les jours grandissent. Les femmes l'adorent ou le craignent parce qu'il les bronze ou les ride... Il y a des centaines de siècles que nous avons appris à faire du feu pour garder nos beaux jours et nos belles saisons. La lumière et la chaleur ont éloigné les fauves. Nous avons construit des machines qui se déplacent en brûlant de l'essence, nous permettent de voler dans la stratosphère, d'avoir les plages sous la main, de nous laver en sifflant, de  refroidir nos fromages, de transmettre nos messages et de nous montrer le vaste monde... Des satellites nous aident à retrouver nos belles-mères, nous avons des robots autour de Saturne. Des touristes fortunés se paient un  tour de planète à cent kilomètres d'altitude et nous dispersons les cendres de quelques défunts privilégiés à six mille kilomètres de la Terre... 

Les choses changent sous le Soleil... Notre destin se précise. L'Avenir n'est plus dans le mouvement des étoiles. Quelques incorrigibles le voient dans les yeux des femmes mais nous avons appris à craindre les lendemains qui chantent... C'est dans les ordinateurs qu'on les trouve, quand surgissent des modèles atmosphériques et que s'affichent les températures. Il est prouvé que nous serons plus au chaud sur la Terre et que nos carottes cuiront plus vite que dans les chaumières de Maupassant.
Notre paradis terrestre risque de nous brûler les doigts, mais nous ne pourrons pas le quitter pour suer ailleurs. 
Nous avons tout transgressé, nous n'avons plus de fraîcheur à transfuser dans nos veines, plus de monde à conquérir, plus de civilisations à digérer, plus de progrès à faire. Nos obèses n'éclateront pas, ils se multiplieront. Nous sommes au-delà du Bon et du Bien. Il nous reste deux générations pour nous sauver, crever nos vieilles certitudes, morales et passions... La Terre nous échappe et le Soleil ne nous aime plus. Coincés entre le marteau solaire et l'enclume des gaz dangereux, piteux au milieu de nos chimies, nous devons parier sur des révoltes inconnues, sauvages et rapides pour abattre la prison des amours et des conventions qui nous étouffent comme des sardines dans un filet, redescendre les températures, ramener la pluie dans les déserts, nous embarquer avec les bêtes dans le même bateau... Le déluge encore, mais cette fois pour noyer des sociétés trop nerveuses, en finir avec l'humanité sans grâce... 
 Le Destin n'a plus rien à voir avec les signes du Zodiaque. On dirait qu'il se contente des nuages, que nos chances empilées sur Terre ont l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette... Que nos déboires  ont la consistance des dioxydes de carbone, oxydes d'azote, méthanes, fluorures et vapeurs de nos pots d'échappement, réacteurs, centrales et troupeaux innombrables de hamburgers... Il est encore temps de se moquer du monde, sous peine de mort...



11.20.2013

BERLIN ...





Berlin est aux lisières de l'Europe quand la Russie penche vers l'Asie... On y sent une sorte de crampe, le trop sérieux des formes classiques et baroques, un mélange de raideur et d'épanouissement, des monuments un peu seuls sur des esplanades un peu larges... des jardins considérables où des poètes et des nymphes de bronze ont beaucoup à faire ... Freud savait que l'âme vient d'ancêtres qui nous poussent l'épée dans les reins où se produisent et reproduisent les gènes et les grammaires... Il m'arrive encore d'avoir froid dans le dos quand la mémoire ne me lâche pas et que des phrases me sonnent aux oreilles comme s'il y avait cent ans. Je ne me défais pas des choses vues et des personnes croisées. Mes mots sont d'emprunt, mes phrases naissent plus souvent de la brume que de mes poches et je tiens debout sur des racines que je n'ai jamais pu compter... Alors que dire d'une ville étrangère?... Sur ce qui suinte entre les pavés, met les rues en musique et colore le ciel ? Carthage fut rasée, couverte de sel, mais remontent encore les tombeaux et les squelettes des enfants voués à Baal... Les éléphants d'Afrique chargèrent du côté de Cinecittà... Berlin ne fredonne ni les airs ni les épigrammes du dix-huitième siècle, Voltaire et Casanova sont passés si vite... Venise et Paris étaient si loin... On dirait que les tambours plats , les fifres, les bruits de bottes, font toujours un tapis sur les trottoirs, mêlés aux frippes des spartakistes, aux tonnes de roses qu'un million de berlinoises amoureuses répandirent sous la voiture blindée du Führer... Qu'on est allé si loin dans l' obscénité, la démolition, le retour à la poussière que le soleil y prend une teinte noire, qu'on a fait des immensités pour d'énormes brocantes... 


 La Mort grouille sous les arbres et remue sous les cendres froides. Ailleurs, les voyageurs trouvent l'éternité à Rome, les bals du quatorze juillet à Paris, les arènes à Madrid... Ainsi vont quelques rendez-vous donnés aux quatre coins de l'Europe. Mais à Berlin, où furent distingués tant de philosophes, la rue donne à voir la cruauté des anges bleus et des casques noirs dès qu'on ferme les yeux... Une étrange élégance glisse en surface, des coupés Porsche conduits par des blondes ou des quinquagénaires, des mannequins rescapés d'un certain déluge... Helmut Newton s'y plaisait pour saisir les apparences de débauches méticuleuses. 

On dirait une baronne un peu saoule, laiteuse de peau et châtain clair, se refaisant une beauté près d'un lac sans rides, aussi peu gênée qu'une courtisane qui change de ministre ou d'homme d'affaires... L'ouest fut donc chargé d'abolir les mauvais rêves... d'enterrer le fameux concert de 1945 : Furtwängler dirigeant la neuvième devant les nazis foutus... L'est fut à l'agonie d'une morale impossible et d'une imposture d'état. A Berlin, grandie par le fer et par le feu (Bismarck), la science fut trop la ruine de l'âme, tant de Prix Nobel ayant opté pour la race supérieure... Aucun dictionnaire ne dira qu'elle est nouvelle Rome ou nouvelle Athènes... De son Zoo furent chassés des élans dont le profil semblait sémite à Joseph Goebbels... 
A présent les choses m'en disent plus long que les personnes, les ombres, comme il se doit, étant à peine visibles sur la face noire de l'Occident.

LES SALONS ...





Ils ont fait la pluie et le beau temps, que reste-t-il de ces fêtes?... Telle finit avec des chats et des géraniums, une autre dans les bras d'un syndicaliste ivrogne, une troisième à Mexico vers 1940, une autre bien plus tard près d'un poêle à charbon, en robe de chambre ouverte, laissant voir une vieille touffe à l'étudiant d'en face, parlant de ses tournées au Caire et à Fortalezza quand elle chantait... Embarquer sur un paquebot fut souvent le naufrage des mondaines en mal de second souffle... La moitié de Paris mourait de chagrin (Chamfort). c'était l'impôt dû par l'intelligence à l'art de se faire désirer. Le Père-Lachaise en sait quelque chose puisque ses allées furent celles du pouvoir. 
Les hommes s'ennuient depuis longtemps... Chassés du paradis pour excès de curiosité, voués aux punitions d'un dieu vengeur, mortels comme les derniers des cafards, ils gardent à l'esprit quelques images d'un monde meilleur et s'efforcent de prendre leurs distances avec le plancher des vaches. Quelques uns se contentent de connaître les sciences et de pratiquer le courage, fidèles sans le savoir aux remarques de Dante, grand voyageur aux enfers et connaisseur de tourments. Cézanne gravit ainsi tous les sentiers de la Sainte-Victoire et comme jadis Poussin sut très tôt qu'il ne vivait pas pour être mais pour ne rien négliger... Les autres s'affairent. Ayant perdu l'enfance et dérobé quelques trésors d'habileté, ils se mélangent pour se tirer au sort, gagner des lots de consolation, se voir briller dans les yeux d'autrui, boire avec délice les nectars de la reconnaissance... 
Allons! il est facile de se moquer des vanités. Les hommes ne sont dupes que de la Vertu. Pour le reste, ils savent parfaitement qu'ils partagent le sort des chiens et des chats. Ils ont donc choisi des arènes pour y jouer la corrida de l'élégance et de la sélection des espèces... La crème fouettée du langage, si parfaite à la cour et goûtée encore chez Guitry, mourut hélas de mort naturelle entre Sarajevo et Auchwitz... Puisqu'il faut trois générations pour faire l'éducation d'un paysan parvenu, on peut imaginer qu'il en faudra six pour nous sortir des fondrières de la classe moyenne et de la pédagogie de masse... Sans compter que désormais, les puissants ne causent que lorsque les faibles dorment... Il y aura sept ou huit mondes là où il n'y en avait qu'un, trop de machines à sous et beaucoup de chaises... et bien sûr des jardins très secrets faute de mauvaises langues!





AVOIR FAIM ....








Quels sont nos désirs?
Si je demande à mes amis ce qui leur manque à la fin du mois pour être délivrés de leurs éternels besoins d'argent, ils me disent tous qu'avec 30% d'augmentation, ce serait parfait. Mais ce qu'ils ne disent pas, c'est que leurs besoins n'arrêtent pas de se multiplier et qu'ils n'ont aucune chance de remplir ce tonneau des danaïdes. S'il fallait comme en 1900 bien manger, avoir chaud sous un toit étanche, les pieds ailleurs que dans des sabots, il suffirait de travailler dix heures par semaine pour faire des économies... La technique met sur le marché tout ce qu'il faut pour vivre à crédit, grossir ses valises et se payer des sensations dignes de nos diplômes, de nos âges et nos sexes... Autant dire que nous n'en finirons pas de péter plus haut que nos derrières en courant après le bonheur. Pour nous calmer, il faudrait que nos informations soient fiables...

En voici quelques unes, gratuites et désintéressées. Il faudra douze planètes Terre pour assurer l'existence matérielle de 9 milliards de citoyens du monde sur le modèle nord-américain pendant une durée raisonnable de mille ans. Donc tout va bien. Il y a tant de non-manuels autour des plantes vertes des entreprises qu'on se demande comment produire autre chose que du bruit et des images... Pourquoi sur-payer les cols blancs et sous-payer les cols bleus ?... Les emplois? Arrangeons-nous pour faire progresser les cancers, les diabètes, les asthmes et l'obésité... C'est une astuce comme une autre pour doper la chimie, les ambulanciers, les laboratoires d'analyses, les pharmacies et l'industrie générale de la santé... Faisons baisser le coût de l'alimentation pour être sûrs de consommer des montagnes d'énergie, de pesticides et autres excréments qui économisent de la main d'oeuvre et transforment les réserves d'eau en or liquide et pompes à finances... Le pétrole est de plus en plus cher, surtaxons le fuel lourd pour faciliter les délocalisations industrielles, réduisons le coût de l'essence et du gazole pour attirer les pollutions, engraisser les assureurs, creuser le trou de la Sécurité Sociale grâce aux accidentés de la route... Bottons le cul à la culture française en estropiant la langue, en dégradant les universités, en sacrifiant les enseignements techniques et en remplaçant l'étude des faits par celle des principes au collège et au lycée... Efforçons-nous de réduire les aides à la famille et de les remplacer par des subventions aux agriculteurs productivistes... Plaignons avec des larmes de crocodile les imbéciles qui ont trois ou quatre enfants... Dépensons dix fois à Paris ce qu'on dépense une fois pour la culture en province... Expulsons les quinquagénaires du travail, oublions de dégraisser le secteur tertiaire des surnuméraires qui l'encombrent, décourageons les jeunes des métiers manuels et productifs, créons des emplois financés par l'impôt au lieu d'être générés par la consommation... N'offrons aux chômeurs que le travail qu'ils savent ou veulent faire... Fermons les yeux sur les salaires des travailleurs manuels et surtout n'enlevons rien aux revenus surévalués des autres... Ne jugeons pas d'une politique économique sur ses résultats mais sur ses intentions... Ne formons pas les jeunes aux métiers qui correspondent aux besoins... Ne cultivons pas la productivité... Ne permettons pas les licenciements pour être sûrs de manquer les embauches... Ne prolongeons pas la vie active... Laissons la jeunesse aspirer au repos... Ne favorisons pas l'innovation, les dépôts de brevets... Admirons nos héros des classes préparatoires et de l'Agrégation qui ont fini à 25 ans de prendre des risques... Laissons nos chercheurs tourner en rond dans le vase clos de leurs statuts et de leur avancement à l'ancienneté... Faisons baisser le coût des transports pour rendre incontrôlables les flux migratoires et irréversibles les folies identitaires... Ne faisons plus d'enfants pour être sûrs d'importer la jeunesse des autres... et perdre les moyens culturels de notre cohésion sociale....

Les bonnes idées ne manquent pas quand il s'agit de taper dans le mur... On pourrait en rajouter quelques pelletées... 
Dans " La tragédie du pouvoir " un petit livre paru en 1979, Alfred Sauvy remue le tas de sable de nos conformismes et de nos imbécillités chroniques. Trente quatre ans après, nous sommes dans nos ornières, nous abordons le 21ème siècle comme des écrevisses et en faisant des cauchemars... Les désordres, les secousses brutales, les tragédies frappent à la porte... 
"La tragédie du pouvoir", Quel avenir pour la France? ALFRED SAUVY. Coll. Pluriel. Calmann-Lévy. 1979. Trouvé en excellent état chez Emmaüs pour la somme de 30 centimes d'euro...

11.14.2013

LES CHANCES ...









Il suffit d'un peu de neige pour faire d'une bricole une oeuvre d'art et de presque rien le spectacle de l'année... 
Les neiges d'antan se sont perdues comme les dames du temps jadis.  Y-a-t-il des écoliers qui s'en souviennent ?... Au train des collèges Villon et Rutebeuf s'en sont allés, feuilles mortes ramassées à la pelle et balancées aux orties, peu utiles aux pédagogues entrepreneurs d'enfants... Car en termes d'items et de compétences, celles-ci les plus transversales possibles, il vaut mieux croiser des poulets aux frites que de blanches cailles aux poètes coquillards... Jamais détestation d'ancêtres ne fut mieux organisée qu'à l'école de l'égalité des chances... Savoir lire à quinze ans est une prouesse, savoir compter sans calculette donne la fièvre, ne rien savoir c'est faire des projets... Vogue la galère des dates inutiles et des fantômes détestables... Crèvent les élégances sur l'autel du politiquement correct où tout poil est miette de connaissance et toute oreille d'âne sosie de Newton... Les Hussards de la République ne chargent plus depuis longtemps et les demeurés du bénitier pédagogique mendient leur droit de vivre sous les néons des grandes surfaces... Tel corniaud, fort subtil directeur d'école, pose à la colle blanche de rudes exigences sur un cahier d'écolier : " son demander " (sic) les entourages des lettres verticales puis du prénom "Paco"..."  Pareilles secousses vous dressent de petits bonshommes et font des citoyens de bronze... Tel furoncle en jupons monte sur l'estrade lycéenne et calligraphie:" Rimbaud, c'est l'Echec. ",  nourrie d'Harlequins et vertueuse comme pomme d'Adam. Tel demi-con vous convie aux analyses transactionnelles et autres "psychanalyses de poche" pour que pigeons et petits pois sourient du même bonheur d'être ensemble... Tels flagellants enseignent la fin du monde, l'esclavage et l'antiracisme à ceux qui viennent de naître... oubliant que fouiner dans les horreurs est jouissance, que sadisme et compassion sont culs et chemises... Que le tir aux nuisibles n'est pas forcément l'amour des bêtes. Donc les anges nous montrent misérables, nous veulent raisonnables en couches culottes, agneaux, brebis et agnelets chez les loups, chassés de nos grandeurs et de tout péché... métamorphosés en pions lustrés d'éternels gestionnaires... dotés de 600 mots pour se vanter d'être nés et boire l'alzheimer dans une paille rose...

IMAGE ....




Les anciens de Grèce et de Rome excellaient dans les images... Ils en usèrent pour faire descendre de l'Olympe ces immortels qui ne dédaignaient pas de se croiser à l'espèce des hommes. L'Occident très tôt se rapprocha des dieux, les tripotant dans la pierre, le métal ou l'argile... On claqua des millions de sesterces pour des tableaux de chevalet à l'encaustique soigneusement gardés dans les pinacothèques, les palais impériaux et les villae de prestige. Tant de préservation et trop d'apparences finirent par encombrer. Ce qu'on voyait partout perdit ses forces et le pouvoir des idoles dut reculer devant celui des mots: " aimez-vous les uns les autres ..." 
Les chrétiens venus du bas de l'échelle, ne furent pas insensibles au prestige des temples et des statues, gardèrent des éléments de décor afin de concilier les paroles du Christ et l'héritage de César... Cette porte ouverte sur l'indépendance de l'état, gardien des lois et des frontières, dure depuis vingt siècles avec des hauts et des bas. A Byzance l'empire avait la voix de Dieu. A Canossa l'empereur des germains vint couvert de cendres baiser la mule du pape. A Paris Napoléon fit ce qu'il voulut. Dans nos cimetières de campagne traînent sans arc ni flèche des angelots qui furent des cupidons voltigeurs autour de Vénus... Sur la tombe des enfants de l'amour...



COREE ...





A l'autre bout du monde... Je ne sais ce qui se dit là derrière ni ce qu'on raconte... Je ne sais pas non plus ce qu'on disait à Venise... Mais les Vénitiens tardifs s'habillaient d'une mélancolie contagieuse, plus tenace que les brumes de la lagune, qui survit à la disparition de Casanova comme à celle des Doges... Les masques ici et là cachent des vérités... et en laissent passer. Ils sont comme les langues, ne peuvent tout traduire... On disait, il n'y a pas si longtemps, qu'un Allemand parle à son cheval, un Italien aux oiseaux, un Espagnol à Dieu et le Français à un ami... Les coréens ont de l'humour, ils sont à l'aise avec les pierres et le bois, ils soignent leur passé, nomment treize sortes de rouge, honorent les vieux arbres... Entre Chine et Japon restant eux-mêmes, de bronze, de fer et de granite sous le masque.



SAINTE POLITIQUE ....





"C'était un fameux navire
 Que le navire du forban,
 Il avait cent lieues moins guère
 De l'avant jusqu'à l'arrière,
 Un mousse aurait mis cent ans
 Pour grimper dans ses haubans...
 On a bien fait de l'occire,
 Ce sacripant de navire...
 Car s'il existait encore,
 Nous serions tous à son bord...
 Nous serions tous à son bord..."
 
Telle chanson fut peut-être chantée par votre père au-dessus de votre lit en bois quand vous aviez trois ans, de sorte que les navires vous furent étrangement familiers, comme la haute mer dans les pages de livres où les pirates sont pendus et pourrissent en cage de fer... Vous connûtes les îles où l'on enterrait des doublons d'Espagne, des diamants bruts et des perles arrachées aux fiancées de Séville données au nouveau Monde ainsi que des caisses de Zurbaran. Trois mois d'Atlantique, une halte dans un couvent de Carthagène, dix semaines sur des mulets dans les ravins surchargés de végétation pour atteindre le Pacifique, un autre navire allant aux Philippines, quatre mois peut-être jusqu'à Manille aux églises folles, aux couvents peu surveillés et aux moines de sac et de corde. Avec de la chance les belles d'Espagne arrivaient encore vierges au mariage pour de fragiles alliances entre des familles séparées par une demi planète... Car s'il en fallait pour qu'une fille passe la vingtaine et trois accouchements à Madrid, que ne fallait-il pas sur des navires bondés, secoués et poursuivis ?... pour passer des forêts étouffantes, boire des eaux malades, pourrir sans espoir dans les calmes plats, ouvrir enfin ses malles dans des maisons de bois visitées jour et nuit par les serpents, les araignées et les tarières... Curieuses Espagnes sur lesquelles ne se couchait pas le soleil... Incroyable écartèlement du corps et du langage !... Trois ans parfois pour qu'une recommandation hâtive reçoive une réponse immédiate... Tout Gouverneur agenouillé devant son Roi, savait que les retrouvailles se feraient aux cieux... Des hommes à perruques, rubans et talons rouges tinrent d'une main ferme le bâton d'amiral, habillés de ruineuses dentelles impropres à la guerre, allant aux abordages, débarquant vaille que vaille l'or et l'argent dans Séville... Parfois sur les dunettes passait une infante à la revue des flottes au large de Cuba...

Comment naissent et meurent les peuples, flamboie la jeunesse, disparaissent les craintifs? Tout suffit aux vieillards... Mais que suffisait à Fernando Cortès brûlant ses vaisseaux sous les yeux de sa maîtresse indienne? Quel autre que Bonaparte pour se faire voir du haut des Pyramides? Pensons aux paquebots à roues débarquant des épouses hollandaises en mer de Java, dont celle du nommé Dubois découvreur du Pithécanthrope... Vous rappelez-vous Loulou, Prince Impérial, trahi par une mauvaise selle et sagayé par les zoulous?... Ou tel maréchal de France, dont Clémenceau jura qu'il eut toujours des couilles au cul, même quand ce n'étaient pas les siennes...
Où sont les "bons" peuples et les "bonnes" Histoires?... La République des petits saints bronze entre le Lubéron et l'Ile de Ré, tord le nez puis le pince devant notre passé d'orgueil, plaide coupable de nos victoires... "Nous ne sommes que des mouches..." disait un sénateur usé devant une montagne de cochonnailles... C'est dans Pétrone et c'est repris par Fellini... Certes notre Sénat n'est pas celui de Rome, mais si Paris valut une messe ce ne fut ni  en baillant ni en cachant de beaux seins... Mensonge peut-être, comme sont travestis nos ancêtres Gaulois et d'autres fariboles d'instituteurs... Mais il faut des moulins à vent et des illusions pour supporter la saine fatigue d'être un peuple et faire en pataouète de banlieue trois phrases de Molière... Les Français ont-ils envie d'être ensemble?... Ils sont avec personne et avec tout le monde, ils détestent leurs pauvres, ils aiment ceux des autres... Ils adoptent à dix mille kilomètres et crachent dans la soupe. On ne compte plus les bedaines et les voix grêles qui prêchent la pénitence, les queues de travers qui chantent l'amour universel... Au fond de ce panier grouillent les minorités, les identités... toutes sortes d'écrevisses marchant à reculons comme jadis les corporations, les provinces, les privilèges...

Les grassouillets partent sans payer, s'installent à Londres et à Bruxelles... Les vaches regardent les TGV... Un ministre annonce que la dette passe les 3000 milliards... Le Charles de Gaulle fête Trafalgar avec une hélice tordue... L'Education Nationale fête ses pourcentages dans l'allégresse, comme Vichy fêtait ses jeunes filles ... Nous voilà mûrs pour un peu d'Histoire, une kermesse de méchancetés collectives, d'ouverture des armoires à balai... Les banlieues ont envie de promenades aux flambeaux... Les Bretons et bien d'autres de grandes processions ... Qui la République fera-t-elle sauter sur ses genoux ? un nain jaune ? une dame de pique ?... Un gigot d'agneau?... Une main de fer dans un gant de fer ? ... Il se pourrait que la France se retourne et dise :" Qui t'a fait roi?..."




11.11.2013

MIGRAINES ...






On voudrait savoir pourquoi les têtes sont bonnes ou mauvaises. Les savants et les philosophes travaillent la question depuis qu'il y a des têtes aux quatre coins du monde. Ils attrapent des migraines à force de percer les mystères de la nature mais leurs efforts ne semblent pas toujours récompensés. Il faut dire que la Nature n'est mystérieuse que pour ceux qui l'observent. Les autres ne veulent rien savoir car ils savent que les mers sont des réserves de poissons crus, les montagnes des réserves de congés d'hiver, les fleuves des bases de loisirs, les arbres des réserves de calories et les sols des réserves de propriétaires.
Puisque la vérité ne rend pas malin, quelques menteurs de génie ont essayé le mensonge. Ils s'aperçurent que les illusions sont nécessaires à l'homme, qu'il enrage de les perdre. Ils dirent qu'ils avaient des visions, que les diables grouillaient dans le noir, que des hommes brillaient parfois d'une lumière divine. Ils ont caché des esprits dans les arbres, des nymphes dans les sources et des dieux dans les neiges éternelles. Ils ont raconté que l'ombre des nuages et les étoiles du ciel gouvernaient le monde et que les hommes devaient être sages pour échapper aux catastrophes.
Quelques déluges, quelques explosions, quelques volcans, quelques famines ont aidé les menteurs, mais les hommes, plus intelligents que les singes et plus petits que les éléphants avaient besoin d'empires et de villes. Ils s'arrangèrent pour tenir les filles en laisse et battre leurs femmes, mais comme il fallait d'autres techniques pour ne pas s'ennuyer ils se firent la guerre et la vendetta, devinrent plus forts et plus sauvages que des loups...
Un menteur exaspéré, plus menteur que tout ce qu'on peut imaginer, se déguise en agneau, raconte qu'il n'en a pas pour longtemps, dit qu'il descend du ciel, embrasse les moins que rien, les putes et les lépreux, crache sur l'or, commande à chacun d'aimer l'autre comme soi-même et s'arrange pour disparaître de sa tombe... On fête encore sa naissance, ses successeurs se déguisent toujours en agneaux et on se bat encore à Jérusalem pour savoir qui doit faire le ménage. 
Tous les menteurs n'ont pas l'envergure de ce Jésus de Nazareth, ni le vrai dégoût de l'espèce humaine (" Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font..."). Mohamed l'arabe qui ne comprenait rien à l'amour du prochain, comprit que les hommes deviendraient des agneaux si Dieu parlait comme un lion. Car dans ce cas là, il vaut mieux rester tranquille, respecter la loi et raser les murs. La barbe du prophète n'a pas fini de faire de l'ombre... Il sut prouver l'épée à la main qu'Allah est toujours en train de créer le monde. Pour calmer les esprits. il apprit aux humbles à triompher des femmes, interdit l'ivresse et les cochonnailles. C'est peut-être là que réside la clé de son succès...
Les têtes gardent leurs secrets, avec ou sans Tables de la Loi. Les savants et les philosophes ont toujours des migraines. Les hommes ne sont ni meilleurs ni pires que les hommes. Il y a pourtant des fous et des enfants qui se lancent avec le sourire dans les recoins de la Terre, ils aiment les jardins de mots, les couleurs inattendues, les oiseaux de passage. Ils font de l'ombre et de la lumière en jouant avec le soleil. Ils ne voient pas le temps passer. Ils n'ont même plus le temps d'être bons ou méchants...


NATURE... NATURE ...








Remarquez qu'on en parle de plus en plus, pour la défendre ou s'y reposer... Tout le monde lui prête les vertus qui manquent à la ville... Ce fut une déesse généreuse, pourvoyant la Terre d'une formidable quantité de bêtes et de fleurs, elle faisait couler des eaux claires et les hommes lui sacrifiaient des taureaux pour la remercier de la beauté des femmes, des ombrages de l'été, de la variété des fruits... L'Age d'or a-t-il existé? Je n'en sais rien, je ne veux même pas le savoir. Je ne crois pas que tous les passés chantaient, que les hommes s'émouvaient jusqu'aux larmes des splendeurs du matin, que toutes leurs épouses ondulaient comme des branches alourdies de prunes au vent du mois d'août... Je ne crois qu'une chose : quand il y avait moins de machines et moins de sportifs dans les montagnes, on n'avait nul besoin de s'inquiéter du monde, la peur du loup suffisait...
La Nature n'est qu'une idée: nos ancêtres ont essayé de savoir où ils mettaient les pieds, puis s'apercevant que leur tête voyait plus loin que leurs yeux, ils en firent une mère inépuisable, s'imaginèrent que le vagin du monde débordait d'offrandes, prirent l'habitude de se servir sans demander, gardant leurs prières et leurs sacrifices pour quelques coups du sort comme les tremblements de terre, les inondations ou les sécheresses... Les grecs, rusés comme Ulysse, ont trouvé qu'elle parlait une langue que les hommes peuvent apprendre. Ils ont compris que les mathématiques pourraient un jour donner le pouvoir de commander aux montagnes, de chasser les maladies, de devenir riches et redoutables... Les méandres de l'esprit posaient aussi des problèmes. Dans le sac de noeuds de la connaissance il fallait trancher, tailler les poutres maîtresses de la Vérité, ce qui est affaire de raison et de logique comme l'ont enseigné Socrate et Aristote... Les coups d'épée d'Alexandre sont un peu les enfants de ces découvertes et la folie des Césars en garantit la grandeur. Mais il arrive que la Nature se rebiffe quand les cervelles tirent plus que de raison sur ses ficelles. Elle renvoie les hommes à eux-mêmes, prédateurs et obsédés de chair, le sexe plus actif que la mémoire... Nous descendons tous des femmes qui vers l'an mille ont eu plus de six enfants...
C'est le cas d'un orphelin de Genève, recueilli puis cajolé par une femme mûre qu'il appelait maman. Tel fut son chemin de Damas. Il confessa toute sa vie que la Nature est bonne, que si les hommes sont méchants, ils ne sont pas coupables ... Il disait qu'à l'état de nature ils sont vertueux sans même le vouloir. Il s'aperçut que plus on allait au ras du sol et plus on rencontrait de belles âmes... que les vicaires étaient meilleurs que les curés, les curés meilleurs que les évêques etc... que le monde vivait à l'envers, et que le bonheur des pauvres devait remplacer le plaisir des riches... Il disait que les enfants n'étaient pas des miniatures, il recommandait de les conduire sur des routes parfumées pour que leur curiosité s'éveille... Cet écrivain de génie qui fut aussi musicien, pleurait et faisait pleurer... Pour donner plus de poids à ses larmes il se débarrassa de cinq enfants en bas âge et finit ses jours dans le parc d'un château. On lui doit de beaux livres et des rêves prémonitoires, comme celui que nous avons autant de coeur que d'esprit et que l'intelligence de l'un ne va pas sans l'autre... La Raison et la Vertu se sont vengées de sa mort : vingt ans de batailles dans toute l'Europe, avec pour récompense les préfets, le système métrique, le rétrécissement de la conversation, une espèce de saut vers l'obscénité des sociétés et des idées. " Avez-vous des nouvelles de La Pérouse? " demandait Louis Capet en se hissant dans la charrette... On imagine mal que le charme d'une époque se montre au moment de sa fin... 
C'est pourtant ce qui nous arrive et nous voudrions que la fin dure encore.... 




OMBRIENNE ...





L'enfance est l'âge d'or de l'humanité.
Ma mère nous ramenait de la plage ou du jardin public sales et tranquilles. Vers 1948-50, il fallait faire de l'eau chaude pour nettoyer sa nichée. Elle mettait en route avec de l'alcool à brûler un engin qui s'appelait "Primus" ou quelque chose comme ça, qui marchait aux vapeurs de pétrole avec un piston comme les vieilles lampes à souder... Une casserole d'eau frémissait sur cet instrument dangereux qui incendia bien des maisons marocaines... Elle nous déshabillait, chacun à son tour, nous mettait dans une bassine où le dosage des températures variait en fonction des heures de retour et de la préparation du repas du soir...Nous étions frottés comme des cochons de charcutier, rinçés en vitesse, essuyés aussi vite... Le moment le plus agréable c'était quand elle passait un gant de toilette imbibé d'eau de cologne et qu'elle nous prenait sur ses genoux pour un nettoyage attentif des oreilles avec une allumette enrobée de coton.
Puis on se sauvait en pyjama avec la consigne de rester tranquille et de prendre un livre... Le soir tombait sur des odeurs de soupe aux vermicelles et parfois j'étais réquisitionné pour secouer une salade dans la cour... Nous étions au lit vers huit heures, et nous lisions jusqu'à ce que mon père vienne nous dire bonsoir... Il nous regardait bien en face, nous posait la main et nous embrassait sur le front avec un petit mot pour chacun et quelques picotements de barbe ... 
Les yeux fermés, commençaient les aventures. Le fils du connétable de Bourbon prisonnier des pirates d'Alger, vendu à Myriam, la Reine d'Ethiopie, parti aux Indes, Maharadjah dont les descendants règnent encore... Robinson, si fort contre la solitude, Montcalm héroïque sous les murs de Québec contre le général Wolfe, Alain Gerbault sur le Firecrest, les Mongols de la Bannière Bleue, le capitaine Achab lancé à la poursuite infernale de la Baleine Blanche, les gardes écossais de Louis XI... Le capitaine Corcoran et sa tigresse qui jettent les anglais dehors... Les grandes chasses d'autrefois, les quarante mille livres sterling de Phileas Fog, le canon de Barbicane, les Dames de Palestine à la cour de Richard... 
Les images, les noms étranges, les îles mystérieuses, les trafics de Zanzibar tendaient des chaînes d'or sur les contrées de l'imaginaire... Un jour naquit d'une peinture ombrienne une personne qui allait et venait entre la grâce et la mémoire.



11.02.2013

COUPABLES ? ...





Détail baroque...

Etait-il cruel de jeter les coupables dans un monde meilleur? ... Ils n'en revenaient pas, les innocents non plus, expédiés par erreur. La justice des hommes ne plaide pas en leur faveur, celle de Dieu sent le Déluge... 
Le Destin n'est plus aveugle depuis que nous sommes savants... Il nous commande de "sauver" la Planète, de boucher le trou de la couche d'ozone, d'arrêter la fonte des glaces, de repeupler les mers et de limiter nos naissances... Les forêts ne retentissent ni de cortèges ni de chansons à boire, les tronçonneuses y font un malheur ... On dirait qu'une raclée se prépare, que des géants à cervelles d'oiseaux vont se cogner sur les caillasses de l'écorce terrestre... Les dieux se sont retirés dans les musées, comme ils l'ont déjà fait dans les mythes ou les bobards, ne laissant paraître que splendeurs défuntes ou canulars... La boule tourne imperturbablement autour de l'étoile, encombrée de cadavres exquis, charriant les modes, les discours, les profanations et les gloires comme un container plombé de déchets empoisonnés... On voudrait qu'une valse bruisse autour de nous, avoir plus de compagnies que nos ordures...  Espérons que nos machines intelligentes renverront d'autres images que des bouches pendantes sous des fronts étroits... Mais nous sommes si morcelés, si décousus , si pervers, qu'il reste peu de chances de croire aux miracles, c'est à dire à la beauté du monde... 
Quand il s'agit de retrouver le sommeil et de se lever en forme, il faut que les rêves passent indifféremment de la nuit au jour et de la lumière au sommeil ... qu'un peu de magie nous trompe, que nous prenions les réalités pour nos désirs et que nos mémoires soient infaillibles...


  Détail baroque...

11.01.2013

POUPOULE ...





Nos amies les poules vivent dans des camps de concentration. Ces camps regroupent des prisonnières qui ne voient ni le jour ni la nuit. Des hommes en blouse blanche et casquette circulent de temps en temps dans la pénombre avec des lampes frontales pour ramasser les malheureuses qui meurent quotidiennement de chagrin. A la fin de la deuxième année les pondeuses bourrées de cholestérol à force de mangeailles étranges et d'immobilité, sont enfermées dans des camions pour une diète de quelques jours dans une station d'élimination des antibiotiques puis conduites aux abattoirs spécialisés. Les plumes servent à des fabrications d'engrais naturels, les entrailles passent dans des croquettes pour chats, les os deviennent des feuilles de gélatine pour la patisserie et avec les chairs dégraissées à chaud des fabricants de protéines pour sportifs livrent de la poudre blanche qui fait gonfler les pectoraux. Le gras résiduel est mélangé à de l'huile de palme et de la poudre d'oeuf dans les barres chocolatées dopées au magnésium que prennent les ados en période d'examens... les becs et les griffes sont réutilisés dans la fabrication des ongles de poupées de luxe. Rien n'est perdu sauf l'honneur, comme il se doit chez les charognards... Ces poules n'étaient que des poules, elles étaient nées dans une couveuse artificielle, leur mère fut une ampoule électrique et elles ne surent du monde que ce qu'en distribue l'EDF, plus leur 100 cm2 de grille galvanisée... Elles n'eurent jamais rien d'autre à faire que de tendre le bec pour se rassasier de granules grises et de poser leur croupion pour se débarrasser d'un oeuf... Ne s'étant jamais retournées faute de place, aucune d'entre elles ne pourrait vous dire la couleur de cet oeuf... Les hommes à casquette en actionnant des leviers faisaient varier les arrivées de granules en fonction des commandes : les oeufs blancs vont au nord de l'Europe et les foncés restent en France, les jaunes changent aussi en fonction des additifs et dans certains camps de concentration on en fait de douze sortes différentes... et on présente la palette au client. La Nature n'a pas fini de nous surprendre.

VERNISSAGE ...







Nous sommes de plus en plus forts. C'est ce qui explique la gaité de nos villes. Si vous êtes grincheux au point d'en douter, vous trouverez le bonheur dans les rues bordée de Galeries d'Art. Des spécialistes vous y attendent. 
 
Avouez que dans les musées de papa les gardiens ne vous ont jamais renseigné sur ce qui vous tracasse depuis votre entrée en sixième : suis-je comme les autres? A l'école vous étiez un élève normal qui suivait des cours normaux sur des programmes normaux... Les livres , comme il se doit, vous tombaient des mains mais vous compensiez dans les clubs où des gens que vous aimiez proposaient des activités d'éveil. En philo vous étiez attentif et le cours sur l' Art vous intéressa parce que la prof était bandante et qu'il vous semblait qu'à ce stade de l'intellect la drague procurait des occasions en or ... Quand vous êtes entré à l'école de commerce vous aviez l'esprit ailleurs. Vous passiez des heures sur des logiciels complexes, il fallait que votre anglais soit au top niveau, les cours de Marketing et d'analyse Transactionnelle ne vous ont plus laissé le temps de rêver. De toutes manières vous sentiez confusément que la vieille culture, genre Malraux ou Gallimard, bloque le speed et le deal dans le monde des affaires. Une méthode de coaching, payée cher mais rodée depuis vingt ans sur la côte Est, vous apporta le dynamisme et l'estime de soi que la littérature et les musées n'offrent à personne. C'est la raison pour laquelle vous ne lisez que la presse économique et les revues professionnelles.
Vous avez trente deux ans, votre copine trente six. Depuis quelques mois vous vous posez des questions sur votre couple. Irina voudrait un enfant... Delphine qui travaille avec elle vous dit que tout cela ressemble à un alibi, qu'en fait, Irina s'ennuie au boulot, qu'elle est jalouse de sa soeur qui a trois gosses, qui vend des aquarelles à des anglais dans le Tarn pendant que son mec retape des résidences secondaires. Vous dites en riant que le seul gadget qui vous manque c'est d'avoir un gosse... Mais les sautes d'humeur vous fatiguent... vous faites un effort de concentration sur vous-même et sur votre couple pour que votre vie privée reste clean. Vous êtes tombé sur une interview de Pete Brawn ( le top des coaches californien, un type très branché qui a fait fortune dans le commerce des bracelets rouges ) où il dit texto :" Si vous mettez 20% d'Art dans votre vie, vous augmentez votre capital sexuel de 30% et vous diminuez vos scènes de ménage de 50%..." Vous avez décidé de réduire votre inculture, de fréquenter d'autres gens, de mettre une dimension esthétique dans votre quotidien. Vous avez dit à Irina que vous n'irez plus au restaurant sans avoir fait d'abord une expo. C'était un peu macho de votre part, mais vous saviez dans ce coup-là que son côté soumise prendrait le dessus...
Vous avez trouvé sur le net un magazine new-yorkais où la rubrique people est bourrée de photos prises dans les vernissages et vous jubilez parce que vous savez quoi vous mettre sans avoir l'air idiot. Irina vous a traîné chez H§M pour les basiques et votre copain Florian vous a passé l'URL de Wrangler et de Levi's. Vous commandez des jeans sur catalogue aux usa et des pompes conçues pour ne pas se prendre les pieds dans les escalators. Ici nos petits malins d'importateurs évitent d'avoir des stocks en ne demandant pas aux clients de donner leur mesure d'entrejambe... C'est pour cela que les américains ont l'air de descendre de cheval alors que nous avons celui de sortir du garage... Et puis c'est  moins cher et livré en trois jours...
Votre première sortie vous a rassuré. Il y avait des invitations qui traînaient dans une bannette près de la machine à café :" Le corps, émois ". Vous avez demandé à Florian si cela valait le coup, il a jeté un oeil sur le carton et fait signe que c'était au poil. 
Vous aviez un pull torsadé à fermeture éclair, des semelles ultra-minces, un jean qui ne faisait pas un pli aux fesses, la barbe à deux millimètres égalisée à la tondeuse, les cheveux relevés au gel... Irina qui craint pour ses trente six ans s'était posée un masque au concombre toute la nuit. Elle portait une jupe foncée sur le genou avec des chaussettes à rayures genre crayons de couleur et des converses genre années cinquante. Sa veste écossaise faisait un bel effet  sur son tee-shirt sans soutien-gorge. Elle avait les ongles violets pour mettre en valeur le petit éléphant d'ambre de sa bague thaïlandaise...

Vous êtes arrivés vers vingt heures, il y avait un attroupement rue Kaiser avec des gens qui parlaient comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Mais vous avez remarqué qu'ils se parlaient sans se regarder, qu'ils dévisageaient tout ce qui passait à vingt mètres... Vous êtes entrés dans cette galerie, vous avez tourné autour d'un paquet de sept à huit personnes. Un jeune type s'appuyait des deux mains sur une table, parlait les yeux baissés. Il les relevait dans la direction d'un sexagénaire attentif accompagné d'une japonaise en noir... Vous vous êtes approché, vous avez saisi quelques bouts de phrases, quelques noms de villes :"... une femme obèse... Denver... le musée d'Osaka... on devrait publier les mémoires de Sam, il a toujours vendu des hots-dogs et fait sa peinture en même temps... Bâle... oui,bien sûr... Henri méritait autre chose..." 
Irina se faisait draguer par un jeune intello aux yeux sombres. Vous êtes allés prendre la température : " J'te présente Fernand Dolorosao, il commence une thèse de philo sur les vérités du corps... c'est ça non ? ... Oui, c'est ça mais dans le sens inverse des aiguilles d'une montre..." Ils éclatèrent de rire, vous avez souri en vous demandant comment elle avait trouvé le temps de piccoler alors que vous étiez encore en train de chercher un verre. Vous êtes descendu au sous-sol. Il y avait des sacs par terre et des photos de buildings penchés sur les murs. Dans un  coin à gauche deux lesbiennes se faisaient des confidences, elles vous ont regardé d'un air militant, vous êtes passé le nez sur les murs, vous avez croisé un type en costume trois pièces qui cherchait les toilettes. En remontant vous avez entendu quelques applaudissements. Une femme liftée encombrée de taches de rousseur et de rides sur le cou venait d'arriver avec une bande. Vous avez vu un photographe en parka, l'air modeste comme Judas au Mont des Oliviers, un leica sur le ventre, l'autre à la main... vous avez souri quand il faisait cliché sur cliché de gens à fric et de grosses têtes... vous aviez des doutes sur les grosses têtes mais les friqués, vous les sentiez à trois kilomètres, c'est votre job...

Vous êtes enfin tombé sur les boissons, près du bureau et de la réserve de catalogues. Quatre ou cinq solitaires, en éventail et le dos aux bouteilles, promenaient un regard pensif sur les hommes et les femmes. Il y en avait un qui semblait heureux d'être là, qui donnait l'impression de vouloir parler de tout et de n'importe quoi. Il posa une brochure sur la table, remit un coup de rouge dans son verre en plastique et vos regards se croisèrent au moment où vous finissiez le vôtre. " Alors il vous plaît ce vernissage?" ... Vous n'avez pas l'habitude de parler comme cela, vous avez répondu que vous étiez ici pour la première fois, que vous n'aviez pas très bien compris tout le travail des artistes mais que vous reviendriez sûrement une autre fois pour vous faire une vraie idée... 
_" Qu'est-ce que vous faites dans la vie?..." Vous dites que vous mettez au point des outils de représentation de la pulsion d'achat... des outils de mesure objective du travail des cadres, des outils d'auto-éducation de l'émotionnel et du relationnel à partir des besoins stratégiques des entreprises etc... Il vous écoute en vous détaillant des pieds à la tête, vous tape sur l'épaule et en éclatant de rire :" Décidément ce sont toujours les salauds qui font bouger le monde! " et rajoute avec le sourire :" De toutes façons on n'empêchera pas le Diable de faire descendre le Paradis sur Terre..." puis incognito... :" Dites-moi cher ami, j'aurais peut-être du travail pour vous ... vous savez je ne crois pas au hasard..." 




MASQUES ...








Cézanne conseille de prendre son tuyau de poêle comme modèle quand on manque d'idées. Les tuyaux de poêle se font rares dans les villes et les campagnes, mais si on ouvre les yeux près de soi, on fait bouger ce qu'on a sous la main. J'ai depuis quelques années une boîte de carnaval qui sert aux enfants de passage et à quelques mélancoliques. Les masques servent un temps à rendre les hommes amis des hommes, ils protègent les malheureux qui détestent leurs semblables, ou s'en moquent ou tremblent à l'idée de les voir de près... Plus ils sont nombreux et plus la foule se rapproche. A Venise se précipitaient de l'Europe entière les filous, les esprits forts et toutes sortes de concupiscents pour mener sous les masques des trains d'enfer ...

Si la mélancolie vous prend, c'est qu'il vous manque des forces pour vous lier à autrui, que vous conspirez pour avoir la grosse tête... Vous cachant votre intime persécution, vous ne voyez autour de vous que des masques, vous ne faites confiance à personne, vous ne prenez du plaisir qu'à l'ombre et déguisé comme si tout n'était que démence. Mais à  Venise, disait un voyageur, les parfums et les masques tiennent lieu de noblesse et " ... par miracle fort estrange dans toutes ces folies de carême, le peuple et les personnes de qualité paroissent plus honnêtes en marchandise et plus avertys dans les Beaux-Arts que le reste de l'Europe..."

Les masques quelquefois montrent ce qu'ils ont derrière la tête. Je veux dire que sans eux personne ne ressemblerait à personne ou que la magie des hommes serait invisible puisque la vérité aurait trop de visages et que tous les menteurs prendraient des rides. Montaigne et La Rochefoucault quand ils eurent passé l'âge des plaisirs et furent gagnés par la passion de l'Homme mirent en pièces les masques du coeur et de la cour, comme Stendhal après l'Empire mit le doigt sur l'imagination rabaissée... 
Le Destin a des figures qui ne sont pas la sienne, les astrologues en font leurs choux gras et les rêveurs cherchent la Belle au bois dormant comme si les forêts de ronces cachaient de tendres clairières pour des amours sans fin. Au dernier jour , destin ou pas, c'est une balance précise qui tranchera de la vérité ou du mensonge, les masques étant tombés... Faut-il se moquer quand nous sentons l'haleine et la main de la mort ? Ou gigoter en d'épouvantables stupéfactions ?

Auguste, empereur de Rome, demanda s'il avait bien joué la comédie de la vie. Un vieux chasseur voulut son verre de bourgogne et sa bécasse bien préparée. Ma mère joignit les mains demandant une dernière fois que l'on prie pour elle. Un prisonnier se cassa la tête contre le mur pour ne pas parler. "Femme qui pète n'est pas morte" dit une cancéreuse en rendant le dernier soupir*... Telles sont quelques échéances et s'il faut encore s'embarasser de masques, disons comme le Roi de Navarre que " Paris vaut bien une messe..."