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10.24.2013

CUISINE ...







Les plats qui se mangent froids sont redoutables.
La France est un pays de grande cuisine où l'Art est passé entre les mains du Ministère et des Régions. Démocratie oblige, il est bon que des commissions responsables servent chaud les marrons de la culture aux irresponsables majoritaires... On n'ose pas s'imaginer que les peuples fassent de leur jardin une confluence de rêves et d'émotions où dormiraient les chats et se poseraient des fauvettes. Les institutions s'appuient sur des hommes et des femmes de bonne volonté, "dignes d'entrer" dans le club des diseurs d'aventure culturelle. Les diplômes confèrent des vertus, les concours sanctionnent le courage, les dissertations touchent les vérités du bout de la langue... Des cerveaux entraînés aux dialectiques extraient du magma social  les gaz secrets des grandes éruptions de l'Histoire, offrent aux citoyens les outils de la bonne gouvernance et de la transparence du Monde. Le siècle des Lumières nous a déshabitués des ombres... Les ténèbres sont extérieures, la traçabilité des idées rend les musées fréquentables et les foules qui en sortent peuvent mesurer l'ampleur des progrès accomplis... Nous voilà vengés des évêques libidineux, des abbés trousseurs de jupes, des princes parasites, des rois infâmes... Vengés de tous les tyrans et suppôts de l'inégalité ... Vengés des salopards qui se gardaient les chefs-d'oeuvres et des bourgeois qui se payaient des artistes avec l'argent du peuple... Les exploiteurs n'ont qu'à bien se tenir... et les cloches se tailler à Rome.

Il reste quelques miettes de l'ancien monde. Quelques faiseurs d'apparences et d'impostures. Ces obsédés prétendent que le vide est l'âme de toute réalité, que l'Art consiste à le frôler si près que les bras en tombent, que les mots disparaissent, que la mémoire court-circuite ... Nus et sans armes ils sont nés, sortis d'un ventre la tête en bas , fabriqués de gènes peu recommandables, poussés en pépinière, rempotés sans ménagements, habillés, instruits, gonflés de phrases parlées par trop d'imbéciles, dévolus au présent grossier, à l'avenir truqué, aux causes économiques et sociales.... Toutes misères qu'il faut saisir sous peine de trahison, de solitude ou d'inhumanité... 

A moins qu'au berceau, secrètement et mystérieusement avertis des fausses monnaies, trésors de pacotille, miroirs aux alouettes... Ils se prennent d'amours singuliers pour les mauvais lieux, les zones inondables, les vasières, cimetières, marécages à mystères où la vraie messe est dite, celle des putréfactions, des fabriques de méthane et d'engrais, des broyeuses de viandes et de cervelles, fondeuses d'os et de reliquaires... Ils veulent du miracle, de l'eau changée en vin, des résurrections, des épées magiques, des talismans, des beautés délieuses, des heures sans voix, des sarcophages de granite rose, des temples aux portes ouvertes, des prostituées d'ivoire, des arbres taillés, des forêts respectueuses, avec des fées, d'impossibles légendes et des contes cruels... Jamais ils ne voudront du paradis statistique et des images de la Vérité ... 

Je préfère la poussière au tombeau, me trouve sur mon étoile pour mon plaisir, comme Roi de France sur sa pièce d'or, en chemin d'éternité qui ne mène nulle part... Mais je n'interdis à personne , et pour cause, de regarder ma mort.

RENOIR ...






Renoir qui aimait les belles fesses, fit profession de peintre.
Que serait-il dans une école d'art des années 2000 ? 
  " Renoir vous n'avez pas de problématique, votre projet est indéfini, vous n'explicitez pas votre relation au médium. Dans votre démarche, si l'on peut parler de démarche, vous ne partagez nulle part les champs du çà et du moi... La sémantique des pigments vous est inconnue... Avez-vous conscience de la territorialité mise en oeuvre par vos cadres dorés et des attentes muséographiques de notre époque? Votre perception du corps procède d'une esthétique vide de pensée sociale et politique...Pour ces motifs et bien d'autres, nous ne voyons pas ce qu'il y a dans votre travail. L' Art, Renoir, c'est la société dans ses toilettes. C'est là qu'aux instants magiques elle retient son souffle et livre ses secrets... que l'artiste en phase avec son temps recueille les matières, les fluides et les phéromones qui servent au renouvellement du langage...."  
Suivent des conciliabules, des soupirs, des petits pas, quelques silences. Une main s'agite nerveusement dans une poche, une autre frotte inlassablement entre le pouce et l'index un gros feutre à tableau. C'est celle du président de jury qui en son âme et conscience se tourne vers l'accusé: " Pierre-Auguste, nous vous autorisons à redoubler."

Jonathan Swift, qui s'y connaissait, dit un jour: " l'homme n'est qu'un tuyau...", mais il ne dit pas de quel côté il fallait le prendre. Le Marquis de Sade dirait que les orifices de l'homme sont autant d'ouvertures vers l'esprit et le coeur, qu'il ne faut négliger aucune occasion de leur arracher des secrets, qu'on ne peut se contenter de tirer des vers du nez... Le docteur Freud, moins marquis donc plus craintif, conseillait le divan, les confidences, l'interprétation des rêves et le paiement en liquide... "Surtout, que personne ne soit seul !..." ordonnaient les dictateurs et les partis uniques..."Surveillez les motivations..." disent toujours les technico-commerciaux, les pédagogues, les banquiers...
Or les peintres n'ont pas les yeux dans la poche. Ils voient aussi les poisons dans les plats. Fra Angelico pleurait devant ses vierges parce qu'il avait ramené les Eves au Paradis Terrestre et débarrassé l'esprit des femmes des kilos superflus de la violence des enfants de Caïn... Il n'est pas moins peintre que Francis Bacon qui visite passionnément tous les garçons de l'enfer. Il n'y a pas de juste place en peinture ni de juste place dans l'Art. Nous sommes nos propres lieux et nous devons nous y faire. C'est simple, c'est fou. Je deviens peintre quand je recommence et quand avec les mêmes gestes je n'obtiens pas les mêmes choses.

FATIGUES ...


 


Michel.Ducruet.60x60.2005. huile/toile






La Peinture fatigue. Les bottes vous disent nuit et jour que la main n'est plus l'amie de l'Homme... C'est avec ses pieds qu'un artiste se fait une carrière. Les pieds font aller et venir des ministères aux résidences et de Pôle Emploi aux cafés d'en face. L'artiste bouge. Il creuse le social comme une taupe en chaleur, il en fait remonter des tas de signes. Des femmes de qualité et des hommes dévoués ramassent à la brouette les produits de ces perforations du réel, puis ils en disposent les échantillons sur des lieux de passage avec des textes polyglottes. Grâce à dieu, les spécimens remontés des profondeurs de la société, sont débarrassés des limaces, asticots et autres vermines porteuses de virus et de bactéries... Seuls demeurent les signes purs et transparents comme des diamants. L'artiste contemporain creuse et ne tremble pas. Les restes accumulés de sa démarche plurielle prouvent qu'il travaille... 
A chacun d'imaginer, en lisant les catalogues, ce qu'il aurait fait s'il n'avait pas été là. Car tout le monde a le droit d'être nulle part et tout le monde est artiste dans une société de consommation. Ce n'est plus l'oeuvre qui présente un quelconque intérêt, c'est le déplacement des individus dans le corps social et celui des marchandises dans les vitrines. Pour cette raison et deux ou trois autres, ce que les hommes se disent est plus important que ce qu'ils se font. On a même remarqué que moins ils en font, plus ils en disent et que plus on peut parler de ce qu'ils disent moins on a besoin de ce qu'ils font... C'est ici que la culture atteint des sommets demeurés inaccessibles pendant des millénaires.
Aux temps barbares de la prééminence des faits sur les discours, à l'époque révolue des chefs-d'oeuvres, la démocratie n'effleurait que quelques têtes et les masses vivaient à l'écart des marchandises, pendant que certains levaient les yeux au ciel... "Cause toujours..." était une manière efficace de séparer les propres à rien des bons à quelque chose....
Or, pour être contemporain, l'artiste doit s'abstenir de laisser des empreintes criminelles sur tout ce qu'il touche. Qu'il prononce au contraire d'une voix claire, modeste et conviviale, des phrases qui facilitent le travail des allumeurs de réverbères. Le mystère n'est plus de ce monde, la singularité frise l'anarchie, que les silencieux s'en aillent comme les bagnoles à la casse... Seuls les morts ont un air de civilisés... les autres doivent absolument convaincre...

"PITI FRAGÔNARD ..."





 M.Ducruet. crayon. "Piti Fragônard" 2000

La Peinture est morte... C'est de l'Art moderne, ce n'est plus de l'Art contemporain... disent les villageois de Paris, repris en recto tono dans quelques coins de l'hexagone. Des enseignants reconvertis dans le culturel font un bruit de sabots dans ces villages depuis une trentaine d'années. Ils pensent que tout va mieux depuis qu'ils ne corrigent plus de copies et que l'art survit en France grâce aux deniers de l'état. Ils ne s'étonnent plus de leurs ahurissantes fonctions mais font quelques trouvailles, comme celle qui consiste à n'admettre que des bacheliers dans les écoles d'art, histoire de propulser le commentaire de texte au zénith de la perception. Perrine Hache-Billot, commissaire de l'exposition " Couleurs et chronotypes du corps" au Musée de Varenches, s'est clairement prononcée entre la poire et le fromage, lors d'un repas chez Bocuse :
" La peinture, comprenez-vous, c'est de l'oeuvre, ça ne dit rien, comment voulez-vous qu'on en parle? Dans les installations au contraire, il n'y a plus l'obstacle de l'oeuvre, le champ est libre pour une dynamique de la création et le discours pédagogique s'impose comme le centre nerveux de l'Art vivant... Nous, les professionnels, nous avons négocié le virage du contemporain au palier supérieur de la communication... Nous pouvons enfin parler d'Art sans nous pétrifier dans une fascination matérialiste et gourmande vis à vis de l'objet... qui risquerait de nous compromettre avec les ennemis naturels de la fonction publique que sont les antiquaires, les collectionneurs cultivés, le marché international et même les simples amateurs de sensations fortes... De toutes façons nous ne sommes pas formés pour ça..."
"Ah bon?!..." répètent ces pédagogues quand ils entendent que nous passons derrière la Turquie en matière d'enseignement de l'histoire de l'art et des pratiques artistiques à l'école... que les artistes qui représentent la France à l'étranger ne sont quasi jamais invités mais imposés de Paris avec l'argent du contribuable... et que même à ce prix-là les chinois ne regardent certaines bannières bleues et blanches que du coin de l'oeil... que tel fut rangé entre les vestiaires et la sortie qui se croyait un phénix non loin de la rue Quincampoix... Ils ricanent puisqu'en Amérique, Italie, allemagne, Espagne, Angleterre et à peu près partout, la Peinture pète la santé sans que des fonctionnaires "corrompus" aux dissertations se concertent dans des cabinets noirs pour l'enterrer...



  M.Ducruet. crayon. "Piti Fragônard" 2000


Humeur joyeuse d'une épave ordinaire: "J'ai mes entrées..." me confiait après boire, le conservateur d'un petit musée de province, ancien professeur d'orthographe, " groupes du troisième âge 48%, classes primaires accompagnées 32%, lycéens accompagnés 15%, étrangers de passage 3,8 %, instituteurs stagiaires devant faire un rapport 0,9%, divers non identifiés 0,3%. L'an prochain on fera venir un psy pour discuter avec des lycéens de leurs autoportraits..." Je lui répondis qu'il avait du flair, il insista pour payer l'addition...

RUE D'ANTIBES ....





Galerie Cavalero. 1980. Rue d'Antibes. Cannes.

C'est un des endroits du monde où la peur de la mort fait des miracles. Un long boyau qui mène des environs de la Mairie à proximité de la gare de Cannes, que l'on arpente dans un sens et dans l'autre comme on le fait pour la Croisette. Les voitures s'y coincent et mettent trois quart d'heures pour en sortir... Davantage quand il s'agit de vrais ou faux bolides conduits avec des Rayban et des gourmettes ... Sur les trottoirs vont et viennent des étrangers à l'aise, des pêcheurs de fringues remarquables, des marins de flottes en tournée. Des va-nus-pieds s'arrêtent devant des pompes à 1000 euros, des désespérés respirent un petit air de succès, tombent sur des morceaux de havanes qui dépassent les dix centimères, ou sur des ampoules de médicaments pour le foie... On y voit tout le monde mais on n'y rencontre personne. On vient là pour expier sa nullité, souffrir ou jouir de son innocence, suivre des marchandises de luxe dans des sacs de marque... C'est là que l'argent fait le bonheur... Mais le plus extraordinaire de la rue d'Antibes c'est que des portions trottoirs gardent les traces des fers à chaussures de Picabia ou des semelles de Picasso:
 
Il y eut un lieu de plaisir à la hauteur du numéro 20. Lionel Cavalero avait été un excellent nageur puis il vécut au Brésil, fit du commerce de pierres précieuses, revint à Golfe Juan tenir une plage où les peintres connus des années cinquante et soixante se retrouvaient l'été. En parlant aux uns et aux autres, en regardant beaucoup et en achetant pas mal, il se prit avec sa femme d'une passion de collectionneur et finit par monter sa galerie d'art moderne et contemporain où sont passés de très remarquables artistes : Bryen, Poliakoff, Debré, Schneider, Istrati, Dumitresco, Atlan, Bartoletti, Rezvani, Seund ja Rhee, Fautrier, Wols, Atila, Leppien, Mansouroff, Chu Teh Chun, Ado et Key Sato, Boumeester, Gastaud, Luc Peire, Hartung, Lam, O. Dominguez... j'en oublie... J'y ai vu aussi de très beaux Herbin et Sonia Delaunay, quelques rares Picabia...Toute une génération et davantage. En soixante dix neuf et quatre vingt j'y allais une fois par semaine et après quelques préliminaires nous finissions en  parlant de peintres et de peintures... Il avait dans une petite remise des toiles qu'il allait chercher pour les besoins de la démonstration... J'ai vu un Olivier Debré de 47 ou 48 qu'on aurait pris pour un Picasso si dans le bas à droite vingt centimètres carrés n'avaient annoncé tout ce qu'il ferait sur les bords de Loire... Sa femme parlait peu mais dans le mille... Il aimait raconter les dessous de marché, les incohérences ou les âneries de certaines "autorités" culturelles... On a bien ri quand il racontait que Man Ray donnait des toiles pour rien, sachant qu'elles ne valaient pas grand chose, mais que le Musée Beaubourg s'était fendu d'un million de francs ( circa1978 ) pour en avoir une, alors qu'en même temps Fromanger fut de sa poche pour sa rétrospective. L'année de la fermeture, au mois de juin 1980, les Cavalero nous ont offert un chaleureux gueuleton d'artistes, sans adieux ni discours, comme je n'en ai plus vu. Depuis les années quatre-vingt, le temps, les gens, les arts, la mode ont pris l'allure, le galop, les tronches du business...et des produits "dérivés". 


Galerie Cavalero. 1980. M.Ducruet. Circus.

10.17.2013

FiGUES ET RAISINS ....






"Ceux qui veulent critiquer l’art contemporain devraient faire preuve d’un peu moins de paresse intellectuelle... ” (Nathalie Heinich, interviewvée dans BOOKS, Septembre 2013.)


C’est bien là le problème... En effet cette phrase du style “quand on veut on peut” met les pieds dans le plat : l’Art Contemporain “fonctionne” à partir de discours complexes extrapolés des sciences humaines et plus particulièrement de la sociologie et de l'esthétique pensée par les philosophes.... Le “social” y est la poule aux oeufs d’or de l’imagination.... Il a expulsé des vieilles lunes qui servaient de prétexte aux anciens ( la mythologie, la Nature, l’Homme, la Beauté, l'Ame etc...) mais qui restent fécondes au Cinéma, chez les Photographes , les Chanteurs ... partout où le premier degré des apparences nécessite une certaine forme de séduction, comme la mélodie et le rythme qui font danser les couples et valser les feuilles mortes...

Chez les “artistes” désignés,  les cinq sens qui plaisaient tant aux disciples de Condillac, cèdent la place à des  calembours, jeux de mots, devinettes, slogans, provocations, astuces, citations rusées ou ou grosses comme des montagnes de pléonasmes, qu'on retrouve parfois sur des cahiers d'écoliers, des tee-shirts, du matériel de cuisine... Il s’agit d’attirer monsieur Lambda  dans des pièges plus ou moins efficaces  ( selon le talent du braconnier) pour qu’il apprenne des vérités sur lui-même,  son espace de vie ou ses désirs... Un peu comme jadis des citations de Lénine ou du Petit Père des peuples devaient désaliéner le prolétaire, culpabiliser le bourgeois et désiller l'oeil borgne des égoïstes... Cet altruisme des "créateurs" déguise  une sorte de culte de l'être suprême, en l'occurrence la troupe des "homo sapiens sapiens" réunis en bande organisée... Cette religion de  l'Art et cet Art de l'intelligence en ville seraient pénibles si des lieux confortables et de bonnes cafétérias ne venaient flouter les arrière-pensées : l’hypertrophie des ego et des comptes bancaires, ces plateaux de la balance du système ... Tant de “découvertes”, tant “d’évènements”, tant de “confrontations”, tant de performances », tant de salles immenses autour d’un pois chiche ou d’air pulsé autour de tôles peintes, de gestes malins, de hurlements presque primitifs, de platitudes ou d'obscénités sorties du sèche-linge... Sont-ils  un progrès par rapport aux peintres(ses) qui "s'expriment" dans la brocante des fantômes du Salon des Indépendants de la Porte Champeret ?

A part de solides transformations de l’architecture et trouvailles graphiques dans l'illustration,  issues des années 20, ce qu’on doit surtout à l’art contemporain, c’est son extraordinaire aptitude à la contagion, disons à la création de produits dérivés : transformation de locaux industriels en temples du Verbe et de la Forme, objets inattendus, surgissement d’une armée de "professionnels", présentateurs, organisateurs, curateurs tous filles ou fils de bonne famille qui trouvent là des raisons d’être au service du "Progrès", de rendre justice à leur pédigrée universitaire, à leur code génétique et surtout aux sujets difficiles des concours de tel ou tel ministère...  Des parvenus de l'agro-alimentaire et de la sainte institution du mariage  qui accèdent enfin aux grâces de l’infaillibilité qui sont le propre des riches collectionneurs escortés de coaches... La découverte de la prose par les fayots de la classe moyenne et enfin cet extraordinaire sentiment de sécurité qu’on éprouve en parlant de la pluie et du beau temps dans un espéranto que les forts en thème peinent à traduire en Volapuk...

Les politiques et les banquiers peuvent dormir sur leurs deux oreilles, l’Art Contemporain ne subjugue pas plus les foules que les laboratoires d'analyses médicales ...
Ceci dit, en fuyant les médias, en traînant partout, il y a toujours une chance de croiser des êtres singuliers ou des naïfs qui posent leurs tripes sur une table par goût ou dégoût de l’humaine condition...


« Twin Towers"/2001/100x100cm/Huile. M.Ducruet.



10.15.2013

BONHEUR GENERAL ...



Les amis de l'homme savent qu'il aime la vérité. Il naît bon. Comme il est fragile et que la société le pervertit, la Providence lui donne des coups de pouce du côté de l'imagination pour qu'il se sente bien dans sa peau. Des génies apparaissent, le rappellent à l'ordre et lui montrent le droit chemin. La vie regorge de complications inutiles et d'évènements obscurs où les esprits et les âmes risquent de se perdre. Il est nécessaire d'installer les braves gens sur des routes qui mènent quelque part. Le but du voyage c'est le Bonheur. Cette formidable entreprise commence à peine. Les progrès de l'instruction, la multiplication des savoirs, la concentration des foules sur des espaces restreints, la vitesse des communications, la profusion des loisirs et des marchandises laissent penser que nous sommes à deux doigts de la réussite...


  
Les hommes de jadis crevaient comme des mouches, ils avaient peu d'années à perdre, c'était presque toujours perdu d'avance... Les femmes accouchaient dix fois pour que deux nourrissons deviennent adultes. Le monde qu'ils apprenaient tenait dans un mouchoir de poche mais en levant les yeux au ciel ou en regardant où ils mettaient les pieds, ils étaient fort conscients de l'immensité des problèmes et à défaut de bonheur ils s'efforçaient de vivre, plaçaient leurs espérances du côté des nuages et leurs angoisses au troisième dessous de la terre. Ils inventaient des machines pour aller au ciel et des astuces pour éviter l'enfer. Leur bonheur c'était la certitude que malgré poux, guenilles et infirmités des anges les attendaient au-dessus de leur tête. Ils avaient un solide bagage de proverbes qu'ils enrichissaient avec finesse à mesure que les joies suivaient les peines... Les forêts et les bêtes débordaient d'histoires à raconter... Les fées faisaient ce qu'elles pouvaient et l'eau bénite guérissait de la mauvaise mort à défaut de faire souvent des miracles.



 
Les hommes modernes sont difficiles à comprendre. Ils font moins attention à ce qu'ils ont sous les pieds et au-dessus de la tête. Quelque chose de plus leur travaille la cervelle. Des philosophes les ont persuadés que ce qu'ils avaient dans le crâne valait tout l'or du monde et forts de cette nouveauté ils se sont mis une fois de plus en quête de Terres Promises... Ils se sont rassemblés en masse pour produire en masse. Ils ont pris l'habitude de courir d'une pendule à l'autre sans s'occuper du soleil ni du vent. Ils se sont débarrassés des patois et des sabots pour monter dans les trains. Lancés sur les pentes du progrès, ils ont chanté le plaisir d'être ensemble... Mais ces hommes presque aussi intelligents que les dieux n'arrêtent pas de refaire le monde... Il n'est jamais à la bonne taille, il y manque toujours quelque chose, il n'est jamais parfait, il n'est jamais à la mode. Des "Guides Suprêmes" et autres faiseurs de miracles se sont acharnés à remplacer les vieilles machines pour aller au ciel, par des engins tous neufs et mille fois plus rapides pour faire le bonheur des peuples. Ces engins perfectionnés permirent de trier les hommes et de jeter les indésirables dans les ténèbres. 

 
Mais à l'usage les remèdes furent bien pires que le mal. Les hommes abasourdis par les difficultés de l'intelligence et les pieds de nez de l'Histoire, fatigués et méfiants, remirent aux marchands les affaires du monde. 
Les marchands ne sont poètes que la nuit quand ils rêvent d'immenses parkings devant d'immenses rayons d'innombrables marchandises produisant de fantastiques bénéfices... Pour le reste ce sont des experts dans l'art de faire baver le client... Des armées de consommateurs se poussent au même moment sur les mêmes choses, chargent leur libido sur des charriots à roulettes : le caddy fait l'homme. Ces foules de la distribution et de la communication ondulent sur les trottoirs au rythme de la musique industrielle, se couchent dans les images modèles et cherchent en vain la potion magique qui leur donnera le sentiment d'exister... Les individus se bousculent, se gênent. Il perdent le goût et la mémoire du goût, s'épient, maudissent leurs pères, courent après un bon "tuyau" pour jouer le bon cheval et se plaire enfin dans l'illusion de leur différence... Puis ils pourrissent et meurent de chagrin sans faire ni bien ni mal...
Quelques inquiets nous prédisent que bardés de logos et vidés d'eux-mêmes, ils se lanceront dans la fureur, faute de s'être donné le temps de vivre... Un autre déluge en quelque sorte, avec les odeurs de vase et de carnage, la noyade des livres et des lecteurs, la mort récompensée... Je lis parfois sur des visages sans histoire le fol désir du Jugement Dernier et de l'effondrement des étoiles... Dante et Virgile au huitième cercle de l'enfer surent que l'Homme n'est pas né pour être, mais pour connaître les sciences et exercer son courage... 
Ils diraient aujourd'hui que l'horloge des médias et de la culture tourne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre... Que Rome n'est plus dans Rome et que les bons chemins ne mènent nulle part ... 








QUERELLES ...







La question reste posée. Pour ou Contre les images? C'est une question de fond, c'est une question de confiance.
Elle remonte à la nuit des temps quand il s'est agi de savoir si l'essence du monde avait une apparence. Il y eut des meurtres entre les descendants de Caïn et d'Abel. Ce fut irréductible comme les meurtres entre nomades et sédentaires. Là où ils furent confiants dans leurs propres forces, les hommes ont donné du volume et du poids à leurs pensées, injecté les effets de la pesanteur dans les statues, projeté leurs visions sur les murs. Les inventeurs de la géométrie et de la raison ne furent pas étrangers aux muscles d'Héraclès, au casque d'Athéna, au trident de Poséïdon. Le rusé Ulysse eut des adversaires et des protecteurs dont nous connaissons le portrait.
Le Dieu unique et vengeur de la Bible, Allah tout puissant le Dieu du Coran, sont insaisissables à coups de crayons ou avec un pinceau... Il est interdit de les modeler dans l'argile ou de les tailler dans le marbre. On peut tout juste graver leurs paroles sur des tables de pierre ou les calligraphier verset par verset. Ceux qui les craignent ont juré une fois pour toutes que c'était folie et blasphème de les représenter.
Il y aurait donc deux sortes de mondes. Celui où tout est visible, où tout doit être montré. C'est le nôtre et il devient nécessairement obscène. Puis il y a l'autre où rien d'essentiel ne peut sauter aux yeux, ni Dieu, ni la Jérusalem Céleste,  ni le corps des femmes, ni les queues de cochon ... un monde qu'Allah crée encore...

Les choses, pourtant, ne sont pas si tranchées.




Dès le XVe siècle Masaccio ne peint plus des icônes. La tête de Saint Pierre est déjà la tête de tout le monde, celle d'un pécheur qui vit et qui pense. Nous sommes dans le singulier, loin du délire. Par les ombres et la perspective  l'apôtre fixe les codes d'un espace à trois dimensions où l'homme est doué de raison et pourvu de mathémathiques. Il pose son regard sur un monde où les lois physiques révèlent les entreprises divines. 


Matisse ne rêve pas et ne s'occupe du monde que pour le tromper. Sa femme sans son chapeau et sa robe, n'est plus qu'un petit van Gogh qui aurait imité un petit Vermeer. C'est qu'il s'agit de préparer la Peinture à rendre d'autres services, la débarrasser du plaisir artisanal de la représentation pour que, dans un espace dénué de perspective, soient libérées des énergies primordiales. L'homme n'est plus au centre du monde, l'espace devient celui d'Einstein et de Poincaré, les commencements et les fins ne sont plus dans les révélations du Livre  mais dans quelques équations géniales. On ne peut plus, dans ce monde là, toucher du bois pour avoir de la chance... en faire le tour pour le connaître... C'est un monde qui brille et ne chauffe pas, comme les étoiles...Il faut s'y faire.




Malevitch fait sauter la bourgeoise comme on fit sauter dans le panier la tête de Louis XVI. Il ne reste que le Peuple et des idées à revendre. Aller au fond de la Peinture c'est la vider de tous prétextes, de toutes intentions, de toute morale, de toute histoire pour donner à des nouveaux-nés les instruments nécessaires au rejet du passé et à l'invention de l' homme neuf... Ce puritanisme absolu fait de la peinture une pure technologie. Mais hélas les peuples apprennent moins vite que leurs tyrans... 100 ans après, le carré noir sur fond blanc ferait très bien chez hewlett-packard , mais on ne l'imagine pas aux Restaurants du Coeur... C'est peut-être que quelque part les peuples veulent garder leur enfance... qu'ils ne sont pas pressés de voir la fin du monde...
En fait, Dieu n'a rien à craindre. La Peinture ne risque pas de le coincer sur la Terre. Un des beaux Musées du monde est à Téhéran, hérité du Shah d'Iran...   Jalousement protégés par des ayatollahs, les peintres occidentaux du XIXe et XXe siècles y sont montrés avec tous les égards... C'est qu'à force de chasser la religion de la Peinture, puis d'en chasser la morale et la politique, plus aucun tableau digne de ce nom ne risque en occident d'être regardé au premier degré, sauf par des crétins incompressibles ... Que toute oeuvre peinte, même figurative est ressentie comme une abstraction des conditions de l'esprit. Le monde sous les yeux n'existe plus... sauf obscène, dégueulasse et transitoire. Il se passe sur les écrans plats, dans les films X, en Palestine,  aux réunions du FMI. 
Quel artiste brûlerait d'y donner son temps? Trop d'images... plus d'image.



10.11.2013

FAIRE FACE....







"SWEET" 1980, coll.Jane and Bob Morse. USA.

Il y a mille façons d'accepter le monde, la meilleure est-elle d'y défendre les bonnes causes et d'aller à table partout où l'on s'aime ?  Ce ne fut ni la manière d'Oedipe ni celle d'Ulysse. Je ne me souviens ni d'avant le Déluge ni des captivités de Babylone et moins encore des portes du Paradis... Une ingratitude sans doute : les attroupements me font fuir, la bonté me fait peur, j'ai dû naître derrière une porte, sur les berges à demi sauvages d'une rivière, à un moment peu propice dans une année difficile. N'empêche, un solitaire doit tenter le Diable pour ne pas s'ennuyer.
Supposons qu'en suivant quelques intuitions secrètes de ce que l'on attendait de vous du biberon au permis de conduire, vous ayez décroché quelques timbales et pompons du manège social, que vous soyez assuré d'une tranquillité matérielle et d'une paresse légale par la grâce d'un diplôme respecté qui vous range dans les petits cinq pour cent des têtes farcies de votre génération, il ne vous restera qu'à prendre vos aises avec le calendrier.
M'étant trouvé dans une chambre grise, au creux d'une maison forestière, coincé entre des carreaux gris et un plafond blanc, assis sur un couvre-pied à petites fleurs qui n'avait connu de l'amour que peu de secousses, je trouvai fort naturel de filer chez le droguiste...
J'y pris une dizaine de couleurs à l'huile, deux couteaux, quatre brosses, six petits châssis, un flacon de medium etc... puis rentrai dare-dare pour commencer des années de disparition des murs sous les toiles... la destruction du temps contraint... la reconstruction de mon corps, la constitution d'une langue, l'amour et l'amitié d'êtres humains supportables et une sorte de familiarité avec des morts distingués...



"Hiver" 1996,coll.part.Paris

BONHEURS FRANCAIS ......





Ducruet.©.




Ce n'était pas une semaine comme les autres, il fallait choisir entre l'Europe et la France... Enfin c'est ce que me disaient des anciens de Sciences-Politiques et de l'E.NA, que reprennaient en choeur des grenouilles médiatiques...
J'avais visité la semaine précédente une exposition des "Chefs-d'oeuvres Français des années 1600 à 1820 dans les collections germaniques".
Nous connaissons assez mal nos peintres chez nous et nous sentons peu leur originalité. La Peinture Française se reconnaît de loin. On dirait que dès le Moyen-Age les français comprennent qu'en peinture on choisit posément ce qui mérite d'être vu : d'abord l'acte de peindre et ensuite les gens et les choses. On se tient entre le premier et le deuxième degré de la conscience...

Dehors nos monuments ne sont pas toujours très puissants. Les plus jeunes pèsent du poids moyen de la démocratie et d'un consensus acrobatique. Il arrive qu'ils soient hors pair quand les ingénieurs prennent le dessus sur les académies ou quand la politique oublie les petits copains... La Tour Eiffel devait être démolie ce fut la cause de son permis de construire... La République peine à jouir dans ses bâtisses et nos ministres recherchent au Mobilier National les canapés de l'ancien régime... L'Arche de la Défense n'augure rien de bon en matière de socialisme, Bercy ne fait pas le poids d'une résidence principale... La Grande bibliothèque sera peut-être la capitale mondiale des toiles d'araignées... et des glissades sur le verglas. Il nous reste malgré tout, des merveilles.




La France se porte mal. C'est le bruit qui court... Je la trouve semblable à elle-même, toujours fascinée par la guerre civile, travaillée par ses forces centrifuges, raidie par ses habitudes, fossilisée par des corporations infatigables, ingouvernable par de braves gens, intenable en temps de paix, insoucieuse du monde et de ses voisins... Les français ne sont ensemble que par un espèce de miracle et grâce à d'épisodiques séances de cravache dont ils ont le secret et dont ils sont fiers. La Fontaine s'est assez moqué des grenouilles demandant un roi pour qu'il faille s'appesantir sur le sujet. Contre cette passion de la pétaudière, la peinture joue le jeu de la sérénité, de la pénétration et de l'esprit souverain.


Lebrun peignit sa mère de profil, en tons d'ocre. Voltaire aurait pu dire que dans ce petit tableau, Louis XIV vit un modèle de grandeur... Le Saint Sébastien de Berlin si proche de la Nativité (musée de Nantes), si loin du Caravage, car silencieux et lisse comme une astronomie... Les paysans incroyables de Le Nain qui ridiculisent les tavernes de Hollande : pour la première fois au monde des paysans qui pensent, des enfants aux pieds nus sur les gris-bleus de la lucidité, Picasso déjà là... Les peintres du midi ( Pierre Subleyras) plus lisibles que les autres, capables de tableaux blonds, de masses simples et pleines , de lumières latines et de vérités sociales... Claude Gellée si peu du Nord et si loin de Rome. Largillière, amoureux des étoffes, Nattier rosissant les lèvres, Boucher voyant avec les yeux du roi, Greuze libre sans le savoir, Fragonard qui ne dort jamais, Chardin toujours à la cuisine, David aux portraits irréprochables... J'ai vu des Poussin à nous jeter par terre... L'autoportrait où il ressemble à Descartes, costume noir, à peine coiffé, la tête s'appuyant sur un fond neutre, feu d'artifice de la liberté... " L'Empire de Flore", grand tableau à personnages mythologiques : les corps plus remuants que des vrais et pourtant serrés dans l'acier, les chairs redécouvertes à chaque centimètre, pas un détail qui ne résume l'ensemble, pas un ensemble qui ne fourmille des mille reflets de lui-même... En voilà un qui dit les choses à la française, donc en un mot :" Cela ne se fait pas en sifflant...", ce qui voulait dire qu'au dix-septième siècle les crétins faisaient déjà du bruit... Watteau n'eut de sujets que pour les naîfs... des embarquements que pour d'effrayantes spirales, des tableaux désencombrés... L'enseigne de Gersaint, quel sablier ! Quel retournement des certitudes! Quelle vitesse des disparitions!... les gris plus actifs que les formes! Ce qui compte en France ne s'adresse guère aux pouvoirs, on dirait que l'oeil y fut, comme la langue, machine à faire le tour des exceptions, qu'il n'y a de place que pour des singuliers, que ce peuple de jardiniers sait tout des racines, des feuilles et des odeurs de l'homme... La peinture Française est celle qui ne raconte rien et se montre sans larmes ni morale, main de fer dans un gant de velours, équatoriale entre les anges et les bêtes, lucide sans effroi ni charité, souriante et terrible. Aux antipodes du péché originel...

Poussin naquit normand et mourut à Rome. C'est peut-être le plus génial de nos peintres. Il décide à trente six ans d'épouser la fille d'un pâtissier, de ne plus quitter Rome et de croire en lui-même. Ses premiers chefs-d'oeuvre datent de ce moment-là. Il regardait tout avec minutie et réglait son emploi du temps sur ses désirs. Il parlait peu mais on venait de très loin pour l'entendre. Il s'offrit une paix royale grâce à son génie de l'indépendance. Il fut prodigieux jusqu'à la fin, toujours en prise avec la vie. Sa grandeur fuyait le tapage, savait aller et venir entre le détail et l'universel. Il imaginait à tous les niveaux. Son " Empire de Flore " bouge partout, promène des filles blondes dans un espace blond plus sensuel, délectable et en bonne santé qu'aux meilleurs moments de l'Art Nouveau ou de la Sécession... Un poète inspiré qu'Apollon désaltère d'une coupe d'or, le nombre d'or étant partout, pure jouissance de dessin florentin, de couleurs vénitiennes, dépassés et entraînés par une passion folle, un emballement des facultés à diviniser les hommes et paganiser les paysages... comme le secret du secret : l'intellect et la chair à jamais complices dans l'acte de peindre. Le monde sans fin.





 Ce Watteau qui semble chercher un couvercle de bonbonnière n'est énigmatique que pour les amateurs de petites histoires. Il s'agirait d'une " Récréation italienne ", ce qui ne veut rien dire puisque en fait de récréation nous sommes dans la cour des grands : il se passe autant de choses dans les variations de gris du petit bois que dans le tressage jaune-rose-bleu contrasté de blancs et noirs du premier plan... Le piédestal et sa boule ont autant de force que l'homme debout... Tout se vaut, les branches, les statues, les filles aimables et les élégants, c'est l'exact merveilleux de la peinture, l'esprit circulant partout comme les divinités de l'ancien monde se mettant dans les arbres, les courants d'air et les sources... C'est l'utopie française par excellence: par tous moyens faire descendre le paradis sur terre et faire un jardin de tout.





10.10.2013

REBEYROLLE ...




Paul Rebeyrolle ... Je garde un petit livre soigné, publié en 1990, de portraits réunis par Jean-François Bauret lors d'une exposition à l'Espace Photographique de Paris. Rebeyrolle avec ... Riopelle, Vieira da Silva, Alechinsky, Bram van Veld, joris Ivens, joan Mitchell ... Il est calé au centre d'une photo carrée, la tête en contre-jour, accidentée avec exubérance. Une tête aux accessoires de bon vivant : mal peignée, sourcils en broussailles, mélange de barbe et de moustache, quelques rides profondes, le nez fort, le front haut, sous les yeux un certain manque de sommeil, les restes d'innombrables casse-croûtes... Un physique d'ouvrier ou d'artisan à la carrière bien remplie... Les yeux entament un interminable va-et-vient :" Je vois qui tu es, regarde-moi bien et n'oublie pas ce que je vais te dire..."

Il parlait de Peinture sans faire de ü... ni de petits p ... Ce ne fut certes pas un martyr puisqu'il eut sa rétrospective au Grand Palais dès 1979, ce qui n'est pas mal pour un autodidacte après trente ans de travail!... Il était fou de pêche à la mouche et de champignons, il avait de nombreux amis du meilleur monde, celui des gourmands à l'esprit vif. Sartre et Foucault firent savoir tout le bien qu'ils pensaient de lui et par miracle son passage au PC ne l'a pas catalogué  "globalement positif "... S'étant planté boulevard Raspail devant un Rouault, puis derechef au milieu d'une bande de Soutine, il se dit qu'en peinture il fallait en venir aux mains... Il ne risquait pas de perdre la tête quand il sortait du Louvres après de longues conversations chez Zurbaran, Goya, Caravage, Courbet, Rubens, Delacroix, Rembrandt, Géricault... Son démarrage des années quarante cinq-cinquante est un peu vite oublié...
Il fut clair : " La condition humaine ne s'arrange pas... nous passons notre temps à nous bouffer les uns les autres... " Ce docteur Bombard savait-il que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire? Que des causes plus exotiques prendraient le pas sur la vie grincée des pauvres et la bronchite des chômeurs?... Croyait-il au remède miraculeux de la honte bue?... La classe moyenne a son usine à gaz du côté de la rue Rambuteau, on n'y compte plus les bons tuyaux et les manches à air, mais on n'y trouve aucun Rebeyrolle... Sur les trottoirs d'en face traînent des chiens sans méfiance, des SDF et pas mal de suicidaires...







Cette Suzanne au bain n'est pas un Tintoret, mais si vous avez le sens de l'humour, vous saurez quoi en faire. Trois monstres convoqués dans un plan de taches blanches, liés par des gris moyens, se partagent une salle de bain sous vos yeux . Derrière une baignoire bordée de noir deux têtes ignobles, plantées là comme deux champignons, participent d'une affaire lamentable...Le monstre femelle, à peine plus mystérieux qu'une gorge de diphtérique, vous laisse entendre qu'en sous-main vous pourriez avoir des surprises... Cette machine d'écorcheur démonte quelques secrets du conformisme...
Il se disait classique, c'est un mot risqué. Certes il aimait les "Sujets" comme on fit des batailles, des cataclysmes et des crucifixions... Il pouvait donner des formes aux déchaînements de la bêtise et de la douleur. Il faisait le pont avec les ascètes de Zurbaran, les cauchemars de Goya et les chevaux fous de Delacroix... Soyons attentifs aux formes et davantage encore aux vides qui les séparent... 






Goya s'y connaissait en sorcières, anthropophages et chairs dégoûtantes... Des trognes engluées de noirs projetaient des bouches trop larges et des yeux voraces, s'empilaient pour des festins de terreur... parfois des taches roses, parfois une montée de jaunes, un bleu plombé, sortaient de ses puits de sang caillé et de charbons éteints... Vanité des vanités... Vérités épouvantables, terreau humain grouillant de passions véreuses, de chicots dans des gueules ouvertes, de têtes scalpées, raclées, de langues putréfiées et d'orbites agrandis avec les ongles... Matière de la fin et des origines...Il faut suivre Dante et Virgile, passer la porte à l'inscription fameuse et descendre en spirale tous les étages de l'enfer, pour la visite de l'Homme...

Rebeyrolle qui fut aussi expert en eaux vives, chemins frais et vie champêtre, construisit aussi d'étranges portiques ouverts sur d'étranges enfers... Sordides et déglingués, de pauvres objets et des carcasses remuantes se partagent une poubelle. Des suicidés gisent dans des baignoires comme des calamars crevés. Des morts-vivants s'entre-dévorent la pâtée mille fois déglutie de cadavres plus ou moins désossés... C'est l'Obscénité, le deuxième dessous des images propres , lisses et bleutées du marketing... Le " Commerce " en bruns, noirs, blancs et jaunes, pot catalytique d'un monde en pleine bourre, croque les appétits d'un pauvre colosse planté sur ses excréments... Cette démonologie débarrassée de diables et de livres saints, nous traîne comme des lépreux sur les sentiers de Mélancolie... mais avec le mot pour rire, une crécelle, une vielle, une danse macabre où s'empêtrent des stupéfaits, tirés au vol ... 

Quand vous passerez chez Rebeyrolle, allez à la rivière, puis venez vous asseoir près du chien de métal. Coupez une tranche de pain de campagne, tartinez vos rillettes, faites sauter le bouchon de votre bouteille avec le pouce, buvez un coup avec vos amis... Telle est la cène des funérailles, sans dieu ni maître...

10.01.2013

CONSOMMATION ...








 
Les mouches ne se font pas de souci parce que plus les hommes sont nombreux, plus il y a de mouches... On ne sait pas exactement ce qui les attire. " Je voudrais être mouche pour savoir ce qu'ils se racontent..." Cette expression reprise par des gens sérieux nous apprend que des apprentis détectives sont prêts à s'équiper d'ailes et de cuisses de mouches. Dans le grand monde de la communication les progrès de la science feront sûrement qu'il y aura  des drones en forme de drosophiles,  qui se poseront au bord des tables de restaurant ou sur les mollets des baigneuses. Ces drones seraient plus efficaces que leurs modèles, car ceux qui enculent les mouches risquent toujours d'en abuser... Alors qu'avec les drones, quelques instructions logicielles les feraient décoller  avant l'irréparable  et se poser un peu plus loin, sans perte de mémoire.
Qui veut connaître l'extrême fond de l'être humain pourrait se procurer les flots de paroles qui s'échangent sous les parasols et devant les apéritifs. On saura ce que disent ceux qui vendent des frigos aux eskimos ou des belles-filles à des belles-mères en suçant des pattes de tourteaux.  Les affaires des hommes d'affaires gagneront de la transparence et on saura pourquoi les gens de l'humanitaire aiment les huîtres et le muscadet. Les drones passeront sous les tables et sauront épier qui fait des pieds et des mains, analyser des phéromones, revenir au-dessus des plats pour capter quelques postillons et mesurer les désirs. La totalité du processus communicationnel serait dominée. 

Lorsque les données fournies seront à l'échelle des 100% d'évènements, que les staffs d'informaticiens traiteront en temps réel la complétude de la communication mondiale, il ne sera plus possible de se moquer du monde car les symboles auront disparu. Toutes les poupées auront un sexe. Les instants succèderont aux instants. Le temps aura en permanence de la valeur, on sera dans l'achat et la vente, sans âme, sans Dieu, sans connaître ni ses besoins ni son image réels, sans deuxième degré, préoccupé de  la survaleur et de la concurrence, buvant la vie comme on tire sur la paille d'un cocktail à la carte... Cette  transparence du monde, son abondance concrète ou virtuelle, cette "démocratie" poussée à bout,  nous épargneront les drames et les tragédies d'autrefois, nous feront les joueurs inlassables d'un jeu interminable... Mais avant cet alzheimer, s'il nous reste un peu de goût pour la conscience et le mal, nous fuirons comme la peste les Moïse du Bonheur, réinventeront la survie, la solitude, la douleur, le temps fugitif, l'absence de miroirs et d'affiches, nous nous garderons du pour ou du contre quoi que ce soit, fuirons  " l'Art " et les " Objets " copains comme cochons.... 
Car nous aurions pu crever comme des mouches dans les vitrines de la Consommation, déboussolés par des joueurs de flûte comme le furent les enfants et les rats.

DU CIEL ....









L



Le Ciel n'est pas aussi bavard que les textes sacrés. Mais on lui fait dire tant de choses. Mes ancêtres craignaient qu'il tombe. Régulièrement de maigres prophètes et quelques illuminés décrivent une fin du Monde où des bouts d'étoiles et des morceaux de comètes viennent nous massacrer. 
La mécanique céleste ne fait pas de bruit mais les prêtres  disent qu'elle punit les ivrognes et les fornicateurs. Nous ne ferions rien de bon depuis le Paradis Terrestre. Le déluge n'aurait pas suffi pour noyer nos ordures. Il est vrai que la génétique ne nous apprend rien sur les consciences. Les anciens disaient que les âmes des morts passaient le temps dans les étoiles . Qu'il y avait de bonnes et de mauvaises étoiles, qu'il suffisait de surveiller leur bougeotte pour connaître les lendemains.
Cette théorie parut fumeuse bien avant l'imprimerie, mais par précaution, de grands démocrates comme François Mitterrand ou de vulgaires dictateurs comme Staline et Hitler, se renseignaient périodiquement sur les constellations. A wall street un mage du nom de Madoff tira les cartes aux génies de la finance.  Ce sorcier levait les yeux au ciel en faisant la charité aux quatre coins du globe  et plus encore en Terre Promise.  Mais il suffit  d'un grain de sable pour que les étoiles ne soient plus tout à fait où elles devraient être. Est-il vrai que les nuages nous cachent des anges et des séraphins? Il ne manque pas d'enfants pour dire qu'ils ressemblent à des chevaliers. J'ai connu des bergères qui ont juré voir le loup dans un cumulo-nimbus.  Il en est une qui entendit des voix en gardant ses moutons, mais les Anglais la brûlèrent à Rouen et Gilles de Rais qui l'aimait bien ne dit à personne que ce fut un archer français qui lui prit la jambe et la fit tomber devant Compiègne pour la vendre aux anglais. Lamartine, souvent sur la montagne, à l'ombre d'un vieux chêne, s'asseyait tristement au coucher du Soleil.  Il y voyait le fantôme de sa bien-aimée... Georges Adamski, publia deux ou trois best-sellers où il racontait que des Vénusiens avaient posé le pied sur le sable du désert et reprenaient la route dans une soucoupe en forme de casque de pompier. Ce grigou littéraire fit une petite fortune dans les années cinquante, comme d'autres qui écrivirent sur les pyramides et les apparitions de Satan, ou sur des portraits du Christ photographiés dans un verre de vinaigrette....  Heureuse époque des voyages d'Ulysse...

Les vieilles lunes ne reviendront pas. Le ciel n'est plus encombré d'esprits et de divinités. Des ferrailles s'y croisent sur 800 km d'épaisseur, des espions bien de chez nous y braquent leurs télescopes sur nos habitudes. Ils mesurent tout ce qui est mesurable, disent comment nous faisons notre lit et salissons les rivières. Certains nous menacent, d'autres nous arrosent de musique, d'autres noient l'atmosphère de paroles incolores, inodores et sans saveur... On ne sait plus qui fait quoi dans les paraboles. Le ciel est à tout le monde, les anges du Paradis et les démons de l'Enfer s'y croisent le jour et la nuit. Dieu n'y reconnaît plus les siens... Quelques riches américains s'y promènent en cendres... 
Je l'ai connu silencieux et avare, juste habité des habitants de l'Olympe, miroir des âmes... dérangé par des étoiles filantes ... Les avions à hélice n'y faisaient aucun mal. Couché en août à la belle étoile, j'attendais  des heures qu'il fasse un signe.  je lui parlais à voix basse.  Un jour  il fit du feu dans les yeux d'une lyonnaise de la Place Saint-Jean .